Cette complexe « crise ivoirienne »…
Cette crise en Côte-d’Ivoire s’avère décidément pleine de rebondissements et d’imprévus. Les médiateurs africains ont quitté Abidjan, sans faire état de progrès vers une solution à la crise politique sévissant. Laurent Gbagbo est toujours installé dans son palais présidentiel et il affiche depuis quelques jours, deux soutiens aussi spectaculaires qu’improbables, deux avocats français : Jacques Vergès et Roland Dumas. Deux vieux renards du barreau qui ont débarqué à Abidjan, « tels Dupont et Dupondt » – dixit le truculent journaliste au Figaro, Eric Zemmour -, pour défendre un président officiellement vaincu. « Et cela alors que leurs amis de gauche ne cessent de donner depuis toujours, des leçons de morale démocratique à la terre entière ». Une situation complexe qui oscille entre farce et tragédie.
La Côte-d’Ivoire est au bord de la guerre civile, révélant la cruauté de sa structure tribale, entre le nord Malinké et Dioula, le centre Baoulé et le sud où l’alliance des peuples lagunaires n’a jamais fait défaut à Gbagbo. Il vient encore s’y greffer le conflit entre chrétiens / animistes du sud et musulmans du nord. Avec derrière, une communauté internationale qui ne veut reconnaître qu’une nation, qui n’existe pas, par idéologie et héritage des frontières de la décolonisation. Gbagbo qui donne contre le néocolonialisme, s’empresse pourtant d’appeler à la rescousse, deux avocats français, héritiers certes de tous les combats du néocolonialisme, mais aussi de toute l’histoire tortueuse de la Françafrique. La communauté internationale, « elle-même chimère de bons esprits », se voit dénoncée par l’habile Gbagbo, comme l’alliance des puissances impérialistes d’hier et d’aujourd’hui, qui veulent imposer un président musulman, de l’ethnie Dioula, ancien haut-fonctionnaire du FMI, et naguère premier ministre d’Houphouët. Ce-dernier reste cantonné dans un hôtel, protégé mollement par des troupes de la CEAO mandatées par l’ONU.
Concernant le positionnement diplomatique français, Nicolas Sarkozy a bien lancé un ultimatum à Gbagbo, mais sans intervention armée, autant dire un cri dans le désert. Alain Juppé a d’ailleurs précisé le 4 janvier, que « la France ne prendra pas l’initiative d’une intervention militaire ». Il est vrai que l’on se rappelle les incidents de 2004, et la fièvre post-électorale n’incite apparemment personne à réellement recourir à la force, avec des troubles qui ont déjà fait 169 morts civils en Côte-d’Ivoire. La solution pourrait sinon venir d’une ingérence de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest. La CEAO se dit ainsi prête à envoyer des troupes. Mais ce n’est pas sans risque, car apte à déstabiliser et fragiliser la région. Personne ne sait ce que ferait alors l’Angola, par exemple, face à une intervention de son grand rival, le Nigéria. Gbagbo peut encore prendre la posture de la victime d’un complot des grandes puissances. On redoute aussi la pugnacité de ce-dernier, autrement plus combatif que son opposant, d’autant plus qu’issu d’une ethnie minoritaire du sud – les Bété. Il sait ainsi qu’en perdant le pouvoir, il risque beaucoup avec son entourage immédiat, à savoir des poursuites judiciaires sur des affaires de malversations, les « biens mal acquis », et aussi sur les dessous de la répression post-électorale.
Et on peut compter sur la culture historique et l’habileté « de nos deux Dupont et Dupondt », pour tenter de confondre au mieux les opinions publiques. Nos deux ténors du barreau s’avèrent, de plus, les détenteurs potentiels de nombreux secrets relevant des relations tortueuses entre la France et certains Etats africains. Vergès et Dumas ne manqueront d’ailleurs certainement pas de rappeler en habiles connaisseurs des rouages de la Françafrique, à toutes fins utiles, qu’il y a quelques mois à peine, au Congo, le fils du président défunt Bongo, fut intronisé par la France et l’ONU, grand vainqueur d’élections démocratiques. Et cela, alors qu’on découvre aujourd’hui, qu’il n’était arrivé que bon troisième lors du 1er tour… Bienvenue dans les rouages de la Françafrique.
J. D.