Ce séisme du bac S
Cette affaire de la fraude au bac, dans l’épreuve de maths de la série S, a fait la une de tous les journaux. Luc Châtel s’est voulu rassurant, déclarant que toute la lumière sera faite, que les services spécialisés de la gendarmerie étaient sur la brèche, et rappelant que la fraude est sévèrement punie par la loi. Au total, cinq personnes ont été interpelées et un employé d’imprimerie a été placé en garde à vue. Une affaire qui porte un nouveau coup, à cette institution qu’est le baccalauréat. Cela dit, ce n’est pas la première, ni la dernière fois, la fraude étant consubstantielle aux examens. Mais cette crise-là est aussi le révélateur d’un secret de polichinelle, qu’on s’obstinait à ne pas voir. Est-ce le fait que la fraude a touché l’épreuve reine des maths, dans la section S de l’élite ? Est-ce la légèreté avec laquelle, le ministre a supprimé la partie incriminée ? Est-ce la moyenne abaissée à neuf ? En tout cas, cette affaire de fuite a instauré comme un malaise…
Certains esprits paranoïaques ont même avancé, que le ministère avait provoqué lui-même cette fraude, pour montrer à tous la réalité, pour déciller les yeux des plus aveugles, qui s’obstinaient « à sanctifier ce monument national en péril ». Il est vrai que l’on aura tout vu, avec des consignes d’indulgence écrites, les options facultatives qui se multiplient, des notes gonflées « à l’hélium de l’indulgence », et des mentions bien et très bien, qui finissent par être atteintes dans leur aura. En le créant, Bonaparte ne s’imaginait sûrement pas, que le baccalauréat survivrait aussi longtemps. Surnommé familièrement « bac », et anciennement « bachot », l’épreuve aura connu d’importantes évolutions et franchi plusieurs paliers dans sa diffusion au sein de la population. Il y avait au XIXe siècle suffisamment peu de candidats pour que les professeurs de l’université fassent eux-mêmes passer les épreuves, comme on le voit dans « Le Bachelier » de Jules Vallès. A partir de 1924, le baccalauréat s’ouvre largement aux filles et à partir des années 1930, le lycée public devient gratuit (il était payant auparavant, sauf pour quelques rares boursiers, comme Marcel Pagnol ou Georges Pompidou, par exemple). Mais l’explosion du nombre de bacheliers intervient réellement à partir des années 1960-1970, quand le primaire supérieur est supprimé en 1963, au profit du fameux collège unique (1975).
Le baccalauréat est ainsi passé, en un peu plus d’un siècle et demi d’un diplôme élitiste et bourgeois, à un diplôme de base, indispensable à toute formation et à toute carrière professionnelle. Certes, le baccalauréat reste le premier grade universitaire, ouvrant la voie aux études supérieures. Mais toutes les filières sélectives des préparations aux grandes écoles, ainsi que les BTS et les IUT sélectionnent sur dossier, dès le mois de janvier, soit « six mois avant l’épreuve reine, reine d’un jour »… Ceux qui y croient, s’inscriront en université. La fac, elle seule, n’a pas le droit de trier. Trier, à savoir un mot maudit, qui dit sélection, dit élitisme… Mais pas autant maudit, pour ceux qui s’inscriront en masse, en communication ou en sociologie… Sans oublier les titulaires d’un bac professionnel, qui croient les ingénus, que c’est « bac » qui est important dans l’intitulé de leur diplôme, alors que c’est « pro », hélas. C’est-à-dire qu’ils ont une qualification professionnelle, mais pas les outils théoriques, parfois la simple maîtrise de la langue française, pour suivre un enseignement abstrait… 97 % d’échecs à l’université, pour les étudiants issus des bacs pro. Valérie Pécresse se flatte d’avoir organisé l’autonomie des universités, mais n’a jamais osé imposer la sélection à leur entrée, qui éviterait cette hécatombe. Sarkozy ne l’aurait pas laissé aller jusque là.
Depuis l’échec de la réforme Devaquet, en 1986, la droite est pétrifiée, et « la gauche entonne le discours démagogique, du bac pour tous, de la fac pour tous, du diplôme pour tous », et tant pis pour le bac, grand rite initiatique national, maintenu comme un comateux en vie artificielle. Personne n’a voulu lui administrer de remède de cheval, pour le sauver. Et personne n’ose désormais le débrancher…
J. D.