La Françafrique a de beaux restes
Comme nous avons pu le constater, depuis ces derniers mois, la Françafrique a encore de beaux restes. Après cette victoire de courte durée au Mali, François Hollande a décidé d’envoyer 1 600 parachutistes en République centrafricaine pour protéger nos compatriotes en danger. Ce pays est ainsi plongé au milieu d’un chaos sanguinaire, avec des bandes de bandits de grands chemins pillant, rançonnant la population et perpétuant multiples exactions. Et un Etat qui n’en est pas un, dirigé depuis mars dernier (suite à un coup d’Etat) par d’anciens rebelles plus ou moins islamistes venus de l’est du pays, les Sékélas.
Mais outre l’aspect humanitaire, que François Hollande souhaite remettre de l’ordre dans la durée, dans ce pays perdu au coeur du continent noir, deux fois plus étendu que la France, mais peuplé de moins de cinq millions d’habitants, est déjà plus discutable. En effet, plus d’un demi-siècle après les indépendances, la France doit-elle encore être le gendarme de l’Afrique. Ainsi Hollande souhaite désarmer les groupes rebelles s’entretuant et massacrant la population, mais la tâche risque d’être complexe. Qui sont les bons et qui sont les méchants, dans ce conflit chrétiens / musulmans entre Sékélas et anti-Balakas. Où sont la légalité et la légitimité ? Les imbrications politico-ethnico-religieuses restent complexes à dénouer. Ce conflit politique entre partisans de Djotodia et partisans de Bozizé s’apparente bel et bien à un nouvel épisode de ces conflits religieux embrasant le Mali, la Côte-d’Ivoire ou le Nigéria, parmi tant d’autres.
Depuis des décennies, tous nos présidents, y compris Hollande, de Giscard à Mitterrand, en passant par Chirac et Sarkozy, nous ont dit et répété que la « Françafrique » n’existait plus. On aurait voulu le croire, quitte à inaugurer de nouveaux rapports avec l’Afrique francophone. Laurent Fabius nous a seriné que la Centrafrique est « au bord du génocide » et Jean-Yves Le Drian, que nous assistons à l’effondrement d’un Etat avec une tendance à l’affrontement confessionnel. Il est vrai que l’histoire de la Centrafrique depuis plus d’un siècle est aussi liée, à celle de la France. Des compagnies françaises se sont taillées des concessions plus étendues qu’un département où les autochtones étaient traités comme des sous-hommes tout juste bons à ramasser du caoutchouc et à fournir de l’ivoire. Passé la libération - où la Centrafrique, baptisée à l’époque l’Oubangui-Chari -, est venu le temps de l’indépendance. Mais ce fut une indépendance formelle, avec des présidents choisis par la France, soutenus par elle contre vents et marées (qu’on se souvienne de l’Empereur Bokassa Ier) ou flanqués d’un numéro 2 envoyé par Paris.
Soutien aux pouvoirs en place, pillage des ressources, cécité face au trafic de stupéfiants, exportation d’un pseudo-modèle démocratique : le bilan politique de la présence française en Afrique subsaharienne et au Sahel a été escamoté par la France socialiste. Assiste-t-on, pour autant, au retour de la Françafrique, à proprement parler ? Cette expression, que l’on doit au premier président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, créée pour saluer « une communauté de destin » entre la France et l’Afrique, est désormais synonyme du pire : l’existence d’une diplomatie parallèle, la concussion des dirigeants français et africains, l’utilisation discrète des caisses noires, etc… Comme l’analyse Nicolas Beau, François Hollande n’a cédé à aucune de ces dérives, contrairement à ces prédécesseurs. Il reste que des chefs d’Etat africains usés jusqu’à la corde ont été sollicités, choyés, récompensés par la France socialiste pour les besoins de l’opération militaire précédente, au Mali, avec en tête de ces vieux chevaux de retour le Tchadien Idriss Déby Itno et le Camerounais Paul Biya. Alors que la France de François Hollande s’apprête à organiser le 7 décembre 2013 à Paris une grand-messe où les chefs d’Etats africains sont conviés, la dénonciation de la Françafrique ne suffit pas à définir un véritable projet. La posture guerrière des derniers mois a masqué un vide politique abyssal, de nature à préparer des lendemains qui déchantent.
Ainsi, quoi qu’il en soit, les Français en ont assez de voir le chef de l’Etat, empêtré dans son absence de charisme, jouer au bonneteau devant eux, tout en sortant de ses poches trouées, un pseudo-génocide au fin fond de l’Afrique, des interventions militaires mal ficelées et aux conséquences souvent désastreuses, une diplomatie maladroite, une pseudo-réforme sociétale, un projet fumeux de grande réforme fiscale. La diversion et l’amateurisme, nous en sommes las…
J. D.