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1 octobre, 2019

Chirac, l’homme et le politique

Classé dans : Politique — llanterne @ 1:59

Jacques Chirac s’est éteint, vendredi dernier, à l’âge de quatre-vingt-six ans. Les hommages ont été unanimes dans l’opinion publique, ce week-end. Samedi matin, toute la classe politique saluait l’homme, le parcours du combattant d’un grand fauve qui a arraché deux mandats présidentiels. A l’heure du départ, ces adversaires saluent ces grandes oeuvres. « C’est le bal des hypocrites dans les médias. Tous ceux qui l’ont traité de « supermenteur », qui l’ont attaqué notamment pour les « affaires » et qui, au mieux, ont jugé sa présidence totalement inutile, rivalisent de louanges devant les caméras », tel le commentait récemment l’économiste Marc Fiorentino. « C’est la règle du genre » mais on ne s’y habitue toujours pas, pour le citer encore. La palme d’or revient à Anne Hidalgo : « Il sera à jamais notre maire ». Un président qui est jugé sympathique par neuf Français sur dix, ce qui fait distinguer l’homme qui rattraperait le politique. Du monde entier également des messages affluent. Quel image laisse-t-il ? Quelles sont ses parts d’ombre ? Quel est son bilan politique ? Quel est son parcours ? D’où vient-il ? Qui était vraiment Jacques Chirac ?

C’est une page de l’histoire de la France qui se tourne, il faut le reconnaître, Jacques Chirac représentant plus de quarante ans de vie publique française. C’était l’un des derniers dinosaures de la vie politique. Il est dans notre paysage depuis très longtemps, ayant été élu pour la 1ère fois en Corrèze en 1967. Il a été neuf fois député, sept fois ministre, maire de Paris pendant dix-huit ans. Il a été deux fois premier ministre, plusieurs fois candidat à la présidence et élu à la troisième tentative. Chirac, c’est seize ans à la tête du pays, entre premier ministre et président. Des hommes politiques contemporains qui ont été seize ans au pouvoir, il y en a pas d’autres. Mitterrand a été pouvoir pendant quatorze ans. Pendant plus de quarante ans, Jacques Chirac a participé au gouvernement de la France et dansé sur le fil du pouvoir. Sa carrière témoigne d’un art de convaincre et de manipuler, l’histoire politique contemporaine se résumant à son nom pour la majorité des Français en 2019. « Sa vie publique est un miracle, car c’est une succession de résurrections. Le secret est l’imposture (…). Il suffit de proclamer une idée pour faire croire qu’elle se réalisera », pour citer le journaliste Denis Jeambar. La politique chiraquienne repose sur un artifice. La question du bilan ? Le réquisitoire de Jeambar est implacable, dans un essai paru en 2007 (« Accusez Chirac, levez-vous ? »). Tout ou presque est faillite dans ce bilan moral, politique, économique, social, institutionnel chiraquien.

L’Histoire saluera cette longue carrière de conquérant du pouvoir, mais condamnera sans doute un président sans qualité. Le problème principal se posant dans le décryptage du chiraquisme, c’est qu’il n’y a pas une pensée chiraquienne. Car il n’a pas arrêté de changer d’avis sur les sujets les plus importants de la vie politique française et mondiale. Ainsi il se revendiquait de la famille du gaullisme, qu’il a ruinée. Non comme un héritier prodigue, mais parce qu’il a capté l’héritage afin de servir sa soif de conquête du pouvoir, dont il ne savait que faire ensuite. Jacques Chirac a flirté tout jeune avec le Parti Communiste, exploré rapidement les arcanes du PS avec Michel Rocard, du temps où il était étudiant à Sciences-Po. Il s’est laissé séduire par l’Algérie française durant ses années de service, puis il a rallié le gaullisme par opportunisme et l’a pratiqué sous la forme du pompidolisme. Avant de le condamner et de se faire le défenseur du travaillisme à la française, dans les années 1980, furieusement néo-libéral inspiré du modèle thatchéro-reaganien. Puis il fait campagne en 1995 sur le thème de la fracture sociale. On ne peut pas imaginer plus différent. Celui du discours en 1991 sur le bruit et les odeurs, qui a appelé à faire barrage à Le Pen en 2002, sont très opposés. Chirac a fait des appels à se désolidariser des Américains sur la politique européenne, durant longtemps et est devenu très pro-européen arrivé à l’Elysée. Personne n’a mieux compris cette règle du jeu de l’utilité de la ruse que Chirac, sa vie politique étant passée par toutes les couleurs. Il se fait élire sur le social en 1995, puis réélire en tant que dernier défenseur des libertés face au péril fasciste. A ce niveau – là, la ruse devient opportunisme et l’habileté, un machiavélisme. Nul ne sait ce que pensait cet homme et le savait-il lui même ?…

Chez la plupart des hommes politiques français, il y a un fil, quitte à faire attention, à remettre dans sa malette ce qui ne passe pas dans l’opinion. Mais on a pas des zig zag aussi importants. Le Chirac de l’appel de Cochin, dénonçant la politique « antinationale » de l’Europe fédérale et le Chirac européen appelant à voter oui à Maastricht en 1992 sont très opposés. C’est très difficile de comprendre. Il appelle d’ailleurs à voter oui à Maastricht en 1992 contre l’avis de son camp, de Pasqua et de Séguin. Il le fait plus pour paraître progressiste aux yeux d’une partie de l’opinion (qui était partagée et aurait voté non si sa prise de position avait été autre), que par conviction. Chirac était avant tout un opportuniste et un démagogue. Pour conquérir, il tenait un discours qui était porteur de son point de vue, à ce moment-là. Il a été très contradictoire et ces contradictions l’empêchaient de passer à l’action. En 1994, il disait en riant, « vous serez surpris par ma démagogie ». Chirac était un véritable animal politique. C’était la caricature de l’énarque, à l’image de Fabius, un rentier de la République, n’ayant jamais travaillé dans le privé et toujours vécu par et pour la politique, aux frais du contribuable, dès l’âge de trente-trois ans. Il eut aussi de nombreux mécènes (Dassault, Pineau…), ayant toujours eu un train de vie très éloigné de celui des Français moyens, entretenu souvent aux frais de la princesse, pour un type qui est paradoxalement apparu comme proche du peuple, au travers une idolâtrie bas du front. Il eut aussi des mentors, tels Pierre Juillet et Marie-France Garaud. On le présente souvent comme un rassembleur, mais cela reste discutable. Il a été un facteur de division, quand il était président du RPR. La déchirure nationale l’a plutôt contraint à l’immobilisme. 

Il y a une épopée Chirac, il faut le dire. C’est un garçon né à Paris, de parents de la moyenne bourgeoisie. Le père travaille dans la banque, puis chez Dassault dont il gérait les comptes. Chirac réussit à apparaître comme l’homme qui aurait des racines paysannes, tout à fait inventé, ses quatre grands-parents étant instituteurs. Sorti de l’ENA, il vient de se lancer en politique, quand Pompidou, alors premier ministre le remarque. Il l’envoie arracher la Corrèze à la gauche. Le père Dassault financera sa campagne électorale. La Corrèze a beaucoup servi dans la proximité chiraquienne. Il est élu député de ce département en 1967 et conseiller municipal à Sainte-Féréole, où son grand-père était instituteur. C’est la classique posture barrésienne. Les pieds dans la glaise. La terre qui ne ment pas. Il a opté pour la Corrèze, comme Mitterrand le Nivernais. Elu en 1969, Pompidou le nomme secrétaire d’Etat à l’emploi. Chirac est efficace ou du moins donne l’impression de l’être. Pompidou le surnomme mon « bulldozer ». Il crée l’ANPE. A la mort de Pompidou en 1974, qui fut son mentor, il cherche à se positionner. Il y a plusieurs candidats à droite. C’est alors qu’il a trahi Chaban, qui était le candidat de l’UDR, en ralliant quarante-trois députés gaullistes sur la candidature de Giscard. Cela lui valut d’être nommé premier ministre par Giscard, à son élection en 1974, pour ce coup de poker. A cette occasion, Chirac entérine le regroupement familial.

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Il présente l’image du jeune énarque brillant, ayant prêté ses traits à un personnage dans un album d’Astérix, un grand maigre au costume trop court avec des lunettes d’expert-comptable. Son comportement le gêne aussi. Il était très figé avec un costume trois pièces. Mais Giscard cumulait à la fois l’Elysée et Matignon. L’inimité devient forte entre les deux hommes. Chirac finit par démissionner en 1977, pour conquérir la mairie de Paris – suite aux 1ères municipales mettant fin au statut spécial de Paris – et créer le RPR dont il fit un outil de conquête du pouvoir. La mairie de Paris lui servira de tremplin, par ses infrastructures, son rayonnement. L’activisme notamment international que la capitale lui offrait, lui permit de se faire reconnaître. Il remplace ses lunettes par des lentilles et se met à porter des costumes plus amples, pour se détacher de son apparence un peu coincée. Il se construisit une image, celle d’un Chirac encore jeune, dynamique et fringant. Celle de mes souvenirs d’enfance, d’un grand beau gosse aux cheveux gominés et plaqués en arrière, qui claquait la bise à Madonna reçue pour un gala. La politique, c’était sensuel, cela consistait à inspirer le désir. Chirac est un bel homme, qui plait à l’électorat féminin, mais aussi aux jeunes, aux vieux. Il fit tout pour éliminer Giscard. Il n’avait pas peur des compromissions. Il aurait ainsi rencontré Mitterrand secrètement dans l’entre-deux-tours en 1981. Ce-dernier lui fait savoir qu’étant malade, il ne ferait qu’un seul mandat. Chirac fait battre Giscard pour faire élire Mitterrand, en ne donnant pas de consignes de vote au deuxième tour et s’impose comme le chef de l’opposition, avec le RPR. Mais François Mitterrand ne tiendra pas parole et rebriguera un deuxième mandat en 1988. Chirac parvient à lui arracher la cohabitation en 1986, ce-dernier le nommant premier ministre.

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Mais tout cela ne repose sur rien de concret, sur le plan du programme. Chirac est habité par le démon du pouvoir, cherchant avant tout à le conquérir, sans savoir quoi en faire après. Durant ses deux ans de cohabitation, Mitterrand tentera d’abattre son premier ministre, qui rendra coup pour coup, s’appuyant notamment sur Pasqua à l’intérieur. Ce sont des années également où le Front National fait son entrée sur la scène politique, Jean-Marie Le Pen effectuant une entrée fracassante à l’Assemblée, en compagnie de plusieurs élus frontistes. En tant que dirigeant du RPR, durant ces années 1980, Chirac se met en scène telle une savonnette dans une publicité, dans des shows à la Reagan. Mais tout ce Barnum était servi par le vide le plus complet. Sur le plan du discours, il associe conservatisme sur la nation et néo-libéralisme en économie et cela se limite à des paroles et de la communication politique. Il ratisse large. Il est battu au deuxième tour des présidentielles par Mitterrand en 1988 et replonge dans l’opposition. Eric Zemmour assure que Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen se seraient rencontrés en 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle, à la demande du premier, dans l’espoir de sceller un pacte discret pour battre François Mitterrand. Il n’y aura pas le moindre accord politique. Sa femme Bernadette avait alors déclaré, « les Français n’aiment pas mon mari ».

Il a quand même traversé beaucoup de déserts avant d’arriver au pouvoir. Il a été humanisé, car il a connu des hauts et des bas. Une seconde cohabitation s’impose en 1993 et Chirac fait appel à Balladur, vieil ami de jeunesse, pour le poste de premier ministre. Balladur le trahira en se présentant contre lui en 1995. Il se verra rallier Sarkozy, Séguin et Pasqua qui pensaient aussi que Chirac était un très mauvais candidat. Mais Chirac finira enfin par l’emporter, sur un  slogan affligeant et aussi vide que sa campagne « Mangez des pommes », sa victoire s’étant opérée à un cheveu. Fin 1994, on le crédite pourtant que de 14 % des voix. Il commettra des bourdes, comme la dissolution de 1997. La victoire des socialistes et la cohabitation avec Jospin le contraindra à l’immobilisme, ce qui lui valut le surnom de « résident de la République ». Il est rattrapé par plusieurs affaires politico-judiciaires en fin de mandat. Chirac cherchait le pouvoir, pour se fuir lui-même, mais était dans un flottement quand il le décrochait. Elu en 1995, étant arrivé à l’Elysée parmi tous les journalistes, il donnait l’impression de ne pas savoir ce qu’il allait faire de son mandat, presque désemparé, comme l’a commenté l’essayiste Raphaëlle Bacqué.

Il était dans une même situation de flottement, élu en 2002. Il buvait de grands verres de coca-cola pour rester réveillé et ça ne prenait pas. Chirac a eu à plusieurs moments des périodes de flottement au pouvoir. Sur le plan idéologique, Chirac est devenu gaulliste social ou du moins il se présentait comme tel. Mais il était plutôt radical-socialiste. Sur le plan international, il a un bilan, que l’on soit d’accord ou pas. Il y a eu le non à la guerre en Irak. L’Irak, c’est une non-action. C’était très important, le fait de ne pas envoyer la France se battre en Irak. Mais ça fait peu, en quarante ans de vie politique. Et en diplomatie, son viatique sur les droits de l’homme était bien maigre pour voyager. Il disait aimer la France, mais ne savait en parler. On peut y voir une modestie, le refus d’un lyrisme trop lourd. Jacques Chirac connaissait les grands de ce monde, mais ne connaissait pas le monde, le découvrant dans sa version Potemkine, de cortège officiel en salon d’honneur d’aéroport. Même si sa culture politique, géopolitique, historique ressemblait à une anthologie des relations internationales de 1970 à nos jours, pour reprendre l’analyse de Denis Jeambar dans son brûlot paru en 2006.

Mais c’était sans projet et sans ambition. La France est le pays le plus visité du monde, mais c’est une nation-musée aujourd’hui. On le voit d’ailleurs, dans la perte d’influence de la France au Moyen-Orient. Dans notre pré-carré de l’Afrique de l’Ouest, Chirac a pratiqué une politique à l’ancienne. Il se disait pro-européen. Mais en réalité il a suivi l’opinion publique, selon ce qui lui semblait allait dans le sens du vent, ayant joué un rôle considérable dans la victoire du oui au référendum de Maastricht, qui a acté la dissolution de la France dans l’Europe en tant qu’entité politique comme l’a dénoncé Séguin, dans son propre camps, à l’occasion d’un débat à la Sorbonne face à Mitterrand. Sur le plan intérieur, c’est extrêmement controversé. Chirac a adopté le regroupement familial, sous l’impulsion de Giscard et du grand patronal français, ce qui s’est avéré être une erreur dans son application, selon certains analystes. Cette mesure comprenait des adaptations, que Mitterrand a abrogé par électoralisme, à son élection en 1981. En dépit de ses discours grandiloquents sur l’écologie, à part la taxe sur les billets d’avion et sa promesse en tant que maire de Paris de se baigner dans la Seine, en quarante ans de vie politique, Chirac n’a pas pris la moindre mesure écologique. Sur le plan économique, ses réformes ont été assez minces, pour ne pas dire inexistantes. Chirac a créé l’ANPE, mais il a surtout accompagné la hausse de la courbe du chômage de masse, la déindustrialisation de la France avec en parallèle celle de l’insécurité, de la criminalité et de la délinquance, durant quarante ans. Au passage, il pourra remercier les Français, car s’il a toujours eu lui un emploi, c’est aussi grâce à eux, selon une tirade humoristique du film – documentaire de Karl Zéro qui lui était consacrée « Dans la peau de Jacques Chirac » en 2006, lui qui n’a jamais travaillé dans le privé.

Sur le plan institutionnel, il n’a pas rendu les institutions aussi solides qu’à son élection, son bilan constitutionnel étant connu. Il a fragilisé la Ve République par ses compromissions, son clientélisme, ses arrangements et combines durant les années 1980, en vue de la conquête du pouvoir avec le RPR lorsqu’il était à la mairie de Paris. L’ombre des affaires plane sur ses deux mandats présidentiels, par ses machinations, stratagèmes et arrangements entretenus durant le 1er septennat de Mitterrand, ayant fini par le rattraper. Depuis le scandale de Panama, qui a vu tant d’élus de la IIIe République pris dans la tourmente de la corruption financière, la France n’avait pas connu une telle affaire, que celle des emplois fictifs et des HLM de la ville de Paris. Mais c’est quelqu’un qui a traversé une époque, les lois sur le financement des partis politiques ayant profité de pratiques qui sont formellement interdites. Sarkozy avait dit de lui, que c’était un roi fainéant. Quand on cherche quelque chose, on ne trouve guère de changement. Il y a la suspension du service militaire, l’arrêt des essais nucléaires dans le Pacifique (qu’il avait relancé inutilement, avant de les stopper) et le passage au quinquennat.

On a analysé que cette réforme constitutionnelle (le septennat remontant à la IIIe République, dans un calcul sur l’espérance de vie du comte de Chambord) a été adopté par Chirac dans un calcul. Afin qu’il est la possibilité d’échapper le plus longtemps possible, par l’immunité présidentielle, aux poursuites judiciaires, en rebriguant un dernier mandat qui ne soit pas trop long, en concomitance avec les législatives. Il est réélu en 2002 face à Jean-Marie Le Pen avec un score de république bananière, surtout par absence d’alternative. 82 % des Français votent pour lui en 2002, soit l’ensemble des Français et de la gauche. Disant qu’il avait compris le pays, place de la République, devant des milliers de drapeaux français, algérien et marocain, il fait un gouvernement réunissant 18 % des suffrages et nullement d’union  nationale. Durant son dernier mandat, Chirac apparaît tel un homme vieilli, affaibli suite à son attaque vasculaire cérébrale en 2005. Cet homme grand (1,89 m), mince et jadis si énergique, se voit rattrapé par son âge. Il se montre de plus en plus coupé des Français, enfermé dans sa tour d’ivoire, dans un contexte de succession marqué par le duel Sarkozy / Villepin, instrumentalisé dans l’ombre par ses soins. Le bilan politique se termine avec deux ans de prison avec sursis. Ca n’a été pas un grand président, mais auxquels les Français restent attachés par cette image qu’il laissait. Car c’est une époque.

Chirac inspirait aussi une nostalgie d’avant – crise, aux yeux de certains électeurs baby-boomers, ayant percé dans les années 70 puis 80, au début du chômage de masse. Et puis il a eu des vertus de proximité que ses successeurs n’ont pas eu, travaillant cette image. On sort d’un mouvement social et d’une année extrêmement difficile pour le président Macron. Certains critiquent une distance par rapport aux Français, de l’arrogance, ce qui n’était du tout la caractéristique de Chirac. On a retrouvé une phrase : « J’apprécie plus le pain, le pâté et le saucisson, que les limitations de vitesse ». Cela a une certaine résonance à l’heure des gilets jaunes et des limitations de vitesse. Chirac était proche des gens, il avait une écoute des autres, même si c’était souvent calculé. Il n’y a pas d’exemple comparable à celui de Chirac, dans les hommes politiques contemporains. Raphaëlle Bacqué rappelle ainsi qu’étant maire de Paris, il pouvait passer une journée à chercher une chambre d’hôpital pour un enfant malade. Parce que la concierge d’un immeuble à côté de l’hôtel de ville lui avait raconté l’histoire. Jacques Chirac avait la poignée de main facile et chaleureuse. Il avait toujours un mot gentil pour son interlocuteur. Tous ses amis et adversaires rappellent la force de ce Chirac, qui avait le contact facile. C’était un vrai président normal. Il y en a un après qui a voulu y jouer. Qu’on aime ou qu’on aime pas Chirac, il avait cette tendance. Au fond, il a sans doute aimé plus les Français qu’incarnait la France et cela aura été sa façon d’être président de la République, d’où un bilan assez contrasté, tel l’analysait Roland Cayrol. Sympathique est l’adjectif mis pour les sondeurs pour Chirac.

Les inventaires pour de Gaulle ou Mitterrand sont arrivés peu après. Mais là les affections sont lucides, émanant parfois de personnes n’ayant parfois jamais voté pour lui. Il n’y a pas de panégyriques. Mais en même temps, l’homme parfois sauve le politique. Il touche ce que beaucoup de Français pensent, qui trouvent les politiques lointains, austères, distants, technocratiques, éloignés des préoccupations des Français. Alors même qu’on le rejetait politiquement, à sa fin de mandat, c’est quand même quelqu’un de sympathique ou du moins qui cherchait à l’être. Même si le bilan est très contesté. C’est l’homme auquel on rend aujourd’hui hommage. C’était aussi un bon vivant. Jean-Louis Debré commente ainsi ce souvenir d’une escapade matinale improvisée à Rungis avec Chirac dans les années 80, à dévorer une entrecôte de 800 g. Il incarne un personnage gaulois avec une gestuelle, des citations (souvent triviales et obscènes), des perles, le rire, ayant plu à certains de nos compatriotes, l’y associant et lui vouant un culte sympathique au travers une idolâtrie bas du front. On peut en citer quelques-unes pour la forme, passées à la postérité. « L’Europe, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. » « On fait des cadeaux avant les élections, et on décide les impôts tout de suite après. » « Ce type, c’est quand même un remède contre l’amour, non ? » (A propos de Balladur). « Qu’est-ce qu’elle veut cette ménagère, mes couilles sur un plateau ? » (à propos de Thatcher).

Il y a l’incarnation du personnage, auquel on a envie de ressembler. Il est grand, il est beau, il a de l’allure. On le disait sympathique, sincère, mais le problème de la sincérité d’un homme politique, c’est compliqué. Les Guignols l’ont aidé beaucoup avec « Mangez des pommes », certains estimant qu’ils ont contribué à son élection en 1995, alors qu’il était sur le fil du rasoir. Mais ils l’ont aussi desservi avec « Super menteur », ce qui est le contraire de la sincérité, le talent de Chirac étant de paraître sincère en des moments où peut-être il jouait un peu. Le paradoxe c’est le Chirac sympathique ou du moins qui apparaissait comme tel, mais aussi l’animal politique sans pitié, ayant suscité des haines politiques tenaces. Chirac a trahi des amis et a été trahi aussi. Il y a du pour et du contre qui permettent de commenter la complexité de l’homme. Il y a le Chirac sympathique et le Chirac brutal, d’une sévérité, d’une dureté. Il était capable d’éliminer ses adversaires sans affect, sans état d’âme, brutal dans ses débats télévisés face à Fabius. Il a connu des scandales, été englouti dans des affaires et a eu le temps, l’énergie de s’en relever. Les Chirac se sont succédés. L’homme qui s’est révélé s’intéressant au temps long, avec les arts premiers. Chacun peut retrouver un peu le Chirac qu’il a aimé. Le Chirac « bulldozer » repéré par Pompidou, a plu à certains gaullistes, puis il y a le Chirac du salon de l’agriculture. Chirac a inauguré cette pratique. Mitterrand n’allait pas au salon de l’agriculture, ni ses prédécesseurs et depuis tous les présidents s’y rendent, tous les ans.

Il faut s’adapter à tous les publics, Chirac étant souvent associé à la bière, la BD, le salon de l’agri’ et les combats de sumo. Sa passion pour les arts asiatiques, on eut pu penser qu’il aurait pu y associer les Français, dans la suite de Malraux. Mais il a tout gardé pour lui et n’a pas voulu en parler, ayant pu en faire un atout. Il y a cette complexité, chez cet homme qui se fuyait lui-même et dont on disait qu’il ne s’aimait pas. Cette passion remontait à son enfance où il séchait les cours pour aller au musée Guimet. L’hypothèse est que c’est venu petit à petit, que cette passion s’est plutôt développée après durant les années 90, étant jusque-là plutôt sous-jacente. Cela révèle une sorte de contradiction apparente, pour quelqu’un qui a toujours montré une forme de trivialité dans ses campagnes. Il a pu montrer le Chirac plus intellectuel, bien que ce n’était pas un intellectuel. Au début, lorsque l’on découvre ses passions, en 1995, il y a une exposition sur les Tahinos à Paris, auquel il s’intéresse et cela fait beaucoup rire dans son camp. Et ensuite il manifeste ses passions pour les arts asiatiques, ce qui fait beaucoup rire Sarkozy. Cela lui permettait également d’apparaître comme un progressiste, ouvert sur le dialogue des cultures, toujours démagogue jusqu’au bout. Il a voulu laisser une empreinte comme Mitterrand avec l’inauguration du musée du quai Branly – Jacques Chirac, dont les collections sont cela dit de qualité et cela sera vraisemblablement sa seule postérité.

Il est parti et sa famille a veillé à ce qu’il n’y est pas l’image de ce Chirac, affaibli, flottant, triste, les dernières années de sa vie. Sa famille a tenu jusqu’au bout à ce qu’il y ait très peu d’images de ces derniers jours. A l’exception de la remise de ce prix de sa fondation en 2012, il n’y a pas eu d’autre apparition. On l’a vu furtivement à l’enterrement de sa fille, en 2016, dans un fauteuil roulant, Claude Chirac, sa fille cadette, responsable de la communication familiale, ayant jusqu’au bout tenu à ce que l’on garde l’image du beau gosse des années 70 – 80 et de celui qui est entré à l’Elysée, encore bondissant, d’un Chirac dynamique. Suite à une attaque vasculaire cérébrale en 2005, probablement suivie au moins d’une autre, il lui a ensuite été diagnostiqué une maladie dégénérative. Il a terminé grabataire et totalement sénile, ayant enterré sa fille aînée en 2016, sans comprendre. Les amis se sont faits plus rares. François Pineau a été l’ami le plus fidèle. Car c’est chez lui, dans son hôtel particulier, rue de Tournon, à Paris (près de la place St-Sulpice), avec un staff payé par ses soins, que Chirac a passé les dernières années de sa vie (après après avoir été logé plusieurs années dans l’appartement familial Hariri, quai Voltaire). La droite est en piètre état et se revendique du chiraquisme. Mais il est vrai que l’on a tourné la page du chiraquisme pour le sarkozysme, en réalité surtout des courants centristes sans conviction, ni ligne claire. Il a fait aussi cette carrière politique, à une époque où tout ce que l’on fait n’est pas révélé dans l’instantanéité, à cause des réseaux sociaux. Ainsi Chirac, c’est un bilan calamiteux, un héritage politique vide, sans testament et la fin d’une époque.

                                                                                                                                      J. D.

 

 

 

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