Les premiers ressortissants français, invités par le Quai d’Orsay, à quitter le Mali, sont arrivés dans la matinée du 3 avril 2012, à Roissy. Un groupe islamiste touareg a pris, hier, le contrôle de la ville de Tombouctou, au nord-ouest du Mali, et il s’agit peut-être là, il est vrai, d’un effet collatéral de la chute de Kadhafi, en Lybie. Ces Touaregs, ces hommes bleus, « c’était les siens ». Ils sont nombreux à avoir combattu pour lui, durant la guerre civile lybienne (les fameux mercenaires africains). Ils le considéraient un peu, « comme leur parrain », lui qui finança les guérillas indépendantistes locales, depuis des années, et qui se faisait souvent le défenseur de leur cause.
A sa chute, des bandes de mercenaires Touaregs se sont repliées, dans leur fief sahélien du nord du Mali, que d’ailleurs, au passage, les Touaregs n’ont jamais considéré réellement, comme étant leur pays (depuis l’indépendance). Le Mali est un pays inventé par la colonisation française, qui n’a jamais été une nation, comme beaucoup d’autres. Les Touaregs n’ont jamais accepté d’y être dominés par la majorité noire, et ils se sont toujours sentis humiliés, rejetés, méprisés, dans cette contrée, où les principes démocratiques s’inclinent, de toute façon, devant les relations tribales et ethniques. C’est ce que n’ont pas compris - ou feint de ne pas comprendre -, les Français et les Anglais en renversant Kadhafi, au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Déjà en Lybie aussi, les tribus de l’est du pays revendiquent leur indépendance, et font la guerre au nouveau pouvoir. Les nombreuses armes parachutées par les Français et les Anglais, n’ont pas été perdues pour tout le monde. Toute la région en est déstabilisée. C’est ce qu’avait expliqué à Nicolas Sarkozy, le président tchadien, Idris Debhi, pour le dissuader d’envoyer l’armée française abattre Kadhafi. En vain. Le président tchadien sait bien, lui, que dans tous les pays de la région, la présence de ces tribus de Touaregs, nomades, misérables et se jouant des frontières, constituent une poudrière qui ne demande qu’à exploser.
S’y ajoute naturellement le coup d’Etat militaire au Mali qui, le 22 mars, a renversé le régime « modèle » du président malien Amadou Toumani Touré, ajoutant à la confusion régionale. Secouée par les nouvelles rébellions de mouvements touaregs, la bande saharo-sahélienne pâtit également de l’impunité des groupes armés se réclamant d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) a suspendu les institutions et mis fin au processus électoral, tout en assurant qu’il ne souhaitait pas « confisquer la démocratie », mais simplement « rétablir l’unité nationale et l’intégrité territoriale ». Mais s’il se maintient, rien ne dit cependant que ce régime militaire, unanimement condamné, sera en mesure de retourner la situation à son profit dans un Nord en déshérence. Seule activité économique dans les zones les moins peuplées du Sahel, le tourisme est à l’arrêt. Et de plus, ces derniers mois, le retour de Lybie de milliers de combattants – en majorité touaregs -, la prolifération d’armes et l’explosion des trafics de cocaïne ou de cigarettes ont achevé de propager une guerre larvée.
Ces soulèvements armés touaregs ayant jailli dans les années 1960 dans l’Azawad (Mali), l’Aïr, l’Azawagh (Niger) ou l’Ajjer (Algérie) ne sont guère surprenants, contingents, imprévisibles, car s’inscrivant dans la prolongation de la résistance des Touaregs aux empires coloniaux. Les années 1950 et 1960 virent la création des Etats du Mali, du Niger, de l’Algérie, de la Lybie, du Burkina Faso (anciennement Haute-Volta). Les Touaregs refusèrent d’être « des pièces rapportées sur la trame artificielle des nouveaux Etats » ; mais leur contestation fut écrasée, et se bricolera alors une autre phase de la résistance aux marges. C’est ce qu’ont bien compris, les islamistes d’Aqmi - la branche algérienne d’Al-Qaïda -, qui les enrôle et les finance généreusement, grâce aux trafics de drogue ou aux rançons payées par les pays occidentaux, pour libérer leurs otages, régulièrement enlevés. Un jeu qui s’avère lucratif. Le seul qui sorte ces jeunes touaregs, de la misère endémique.
Et beaucoup s’y précipitent, avec d’autant plus d’enthousiasme, qu’ils ne risquent rien. Ou pas grand-chose. Car à part l’Algérie, aucun pays de la région n’a de structures étatiques, digne de ce nom. Et ce n’est pas le coup d’Etat récent, d’officiers maliens d’une armée en débandade, qui y changera quelque chose. Alors pillage, nomadisme, Islam rigoriste du désert. « Tout se passe comme si cette région de l’Afrique de l’ouest, reprenait le cours millénaire de son histoire, avant que la France n’y imprime sa marque colonisatrice », pour citer Monsieur Zemmour. Une histoire millénaire, ancestrale, mais transformée, bouleversée par sa rencontre improbable, avec la face la plus noire de la modernité, celle du crime mondialisé ! Trafic d’armes, de drogues, et d’immigrés clandestins aussi. C’est une ancienne colonie, zone d’influence française. On n’interviendra pas militairement, a déclaré Alain Juppé. Que peut faire la France ?
La France n’a que de mauvaises solutions. Soit elle accepte la partition du Mali, et reconnait aux touaregs leur indépendance. On pourrait alors retourner ces farouches combattants, contre les terroristes islamistes. Mais ce serait ouvrir la boite de Pandore. Inadmissible pour tous nos grands alliés dans la région, de la Côte-d’Ivoire au Sénégal. Soit on intervient militairement avec ces pays-là, encore une fois, on chasse les putschistes de Bamako, on réprime la rébellion touareg. Et on offre ces tribus surarmées aux terroristes islamistes d’Aqmi. Ou on ne fait, ni l’un, ni l’autre, ou un peu des deux, et on a tous ses inconvénients. « Au loin, on croit entendre, le rire caverneux de Mouhammar Kadhafi ».
J. D.