Un confinement sans précédent historique
C’est une mesure inédite en France (inefficace et inappropriée selon certains). Prolongeable initialement jusqu’au 15 avril, il a été annoncé, mercredi 9 avril, la reconduite du confinement par le gouvernement au moins jusqu’à la fin avril – début mai. Ces mesures sont globalement respectées en France, par les 67 millions de Français. Près d’un tiers de l’humanité serait touché par ces mesures de confinement, à l’heure actuelle. Certains pays annoncent des scénarios de sortie, ce qui n’est pas encore envisagé en France. Alors que l’épidémie de coronivarus ou Covid-19 a tué plus de 53 000 personnes en Europe et plus de 102 026 dans le monde, pour l’instant, le pic des contaminations n’est toujours pas atteint, semblerait-t-il. Les précédents historiques (notamment celui de la grippe espagnole, de la variole) et les comparatifs sont intéressants à établir.
Le confinement généralisé s’avère-t-il réellement efficace et utile pour enrayer une épidémie ? Peut-on comparer le coronivarus et la grippe espagnole de 1918 – 19 ? Beaucoup accusent la mondialisation d’être responsable de la diffusion si rapide du virus dans un monde, entre guillemets « sans frontières ». En combien de temps le virus s’est-il répandu, à l’époque de la grippe espagnole ? Comment ont réagi les gouvernements à l’époque ? Quelles ont été les conséquences sociales ? Quelles ont été les mesures prises ? Ont – elles été effiaces ? Peut-on espérer les mêmes prodigieuses avancées de la science, aujourd’hui ? En quoi ce confinement impacte-t-il notre moral et aussi l’économie française ? Le roman « La Peste » d’Albert Camus nous apprend sur les attitudes collectives face à une épidémie, toutes proportions gardées. Ce sont là autant de questionnements soulevés autour de la gestion de cette crise sanitaire.
Le coronavirus ou Covid – 19 (acronyme anglais de coronivarus disease) est une maladie infectieuse émergente de type zoonose virale, causée par une souche de coronivarus SARS-CoV-2. Apparue à Wuhan en Chine centrale en novembre 2019 avec des cas inhabituels de pneumophatie. Qualifié de pandémie dès mars 2020 par l’OMS, il se propage dans le monde entier (soit sur les cinq continents). La maladie a justifié de sévères mesures chinoises de confinement en janvier 2020. De nombreux pays prennent à leur tour des mesures similaires, provoquant des fermetures de frontières, un brusque ralentissement de l’économie mondiale et un krach boursier le 12 mars 2020.
C’est en Chine, en Iran, en Europe de l’ouest (en Italie, en Espagne, en moindre mesure en France) et aux Etats-Unis, qu’il a fait le plus de victimes, pour l’instant. Se développant sous une forme bénigne dans 85 % des cas, à la contagiosité très forte (près de 1 700 000 cas confirmés, dans le monde officiellement), le Covid-19 reste sans comparaison avec le H1N1 ou grippe espagnole (ayant fait des ravages en 1918 – 19 dans le monde entier), sur le plan de la mortalité. Mais néanmoins, elle reste non négligeable chez les personnes âgées et vulnérables sur le plan respiratoire. Près de 20 000 malades (souvent âgés) décèdent de la grippe classique (A, B, C ou D) ou de maladies respiratoires diverses et variées, chaque année, en France (comptabilisés parmi les 610 000 décès annuels).
La mise en place de ce confinement général vise à éviter l’engorgement des urgences. Au fur et à mesure que l’épidémie de Covid-19 progressait en France, on a assisté à une intensification progressive des mesures prises par le gouvernement, face à une crise sanitaire, semble-t-il relativement mal gérée. La préfecture de police de Paris vient par exemple d’interdire désormais depuis le mardi 7 avril, toute pratique d’activité physique à l’extérieur entre 10 h et 19 h, même avec une attestation obligatoire de sortie.
Tel qu’il est pratiqué, ce type de confinement prouverait son inefficacité, selon certains experts, mais cela dit les précédents historiques sont faibles. A l’exception de quarantaines localisées comme la dernière fois, dans le cas de la variole en 1954-55 dans le Morbihan, c’est une première en France. Par ailleurs, en procédant de la sorte, on joue dans la durée, sachant d’autant plus que le coronivarus ou Covid-19 n’en est peut-être qu’à sa première vague pandémique, la grippe espagnole en ayant connu trois. Mais quels sont les précédents dans l’histoire, sur le plan de la gestion d’une crise sanitaire ?
Une épidémie (du grec epi = au-dessus et demos = peuple) est l’apparition et la propagation d’une maladie infectieuse contagieuse (cutanée, respiratoire…) et potentiellement mortelle. Elle frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, telle l’épidémie de grippe. Si elle se répand sur une large zone géographique, on parle de pandémie (du grec pan = tous). L’histoire nous a ainsi laissé quelques traces de ces pandémies ayant terrorisé les sociétés humaines (et cela depuis la plus haute antiquité), avec des répercussions économiques, politiques et sociales. Outre l’application de mesures ponctuelles de confinement, il apparaît que ce sont toutefois les consignes sanitaires et surtout les progrès scientifiques qui sont venus à bout des maladies contagieuses.
Dans l’histoire, les pandémies ont été régulières, quelque soit leur mode de transmission (respiratoire, cutané, sexuel…). Elles suivent l’histoire de l’humanité depuis le néolithique. Au rang des maladies célèbres, la lèpre est souvent citée (déjà dans la Bible), mais aussi la syphilis (MST), autrement appelée vérole (Beaudelaire, Maupassant, Daudet…), la peste découverte par Pasteur en 1894, la tuberculose qui fit des ravages en Europe au XIXe siècle. Les routes marchandes ont contribué à la diffusion des épidémies.
Endémique et chronique de l’Antiquité à son éradication par le vaccin en 1977, la variole (circonscrite initialement à l’Europe) fut diffusée par les navigateurs européens dans le Nouveau Monde, au XVIe siècle. A l’image d’autres maladies contagieuses disparues comme la suette miliaire ou encore la coqueluche (ou le tac ou le horion). La diphtérie est enrayée par la vaccination en 1924.
Le choléra est une autre infection (de type diarrhéique aigüe). Sans vaccin connu, il reste une menace selon l’OMS pour la santé publique mondiale. La grippe classique (A, B, C et D), la plupart du temps bénigne, peut évoluer vers plusieurs types de complications mortelles pour les plus fragiles. On peut citer le virus Ebola (en Afrique), le Sida (MST officiellement apparue en 1981, officieusement dans les années 1960), l’hépatite C, le Sras de la famille des coronivarus.
Le chinkungunya et la fièvre jaune sont deux maladies tropicales infectieuses transmises par les moustiques, comme le paludisme ou la malaria. La fièvre jaune toucha l’Italie méridionale et fit des ravages dans les Etats du sud des Etats-Unis. Elle remonta même jusqu’à New-York et Philadelphie à la fin du XVIIIe siècle (incitant Georges Washington à quitter ce qui était alors la capitale des Etats-Unis). Dès la haute antiquité, jusqu’à l’époque moderne et contemporaine, les quarantaines, confinements et cordons sanitaires ont été mis en application, notamment en Europe, pour endiguer les épidémies et pandémies, mais toujours à titre local et jamais à cette échelle.
Dans l’histoire contemporaine, il y a eu trois pandémies au XXe siècle : la grippe espagnole (25 – 50 millions, voire 100 millions de morts selon certains analystes), la grippe asiatique de 1957 (2 millions de morts) et la grippe de Hong-Kong en 1968 (4 millions de morts). Les deux dernières ont la particularité d’avoir été circonscrites à l’Asie, d’où est parti le coronivarus. Les conséquences politiques furent souvent capitales dans l’histoire, comme elles pourraient l’être notamment pour le PC chinois (dans la minimisation des statistiques officielles) et l’Union européenne (par absence de solidarité suffisante entre Etats européens, dans la gestion de la crise sanitaire), par exemple.
Dans Athènes assiégée par Sparte en 430 av. J-C., une subite épidémie de peste décima un tiers de la population de la ville (soit 200 000 habitants). C’est la première pandémie documentée de l’histoire, probablement en réalité une fièvre typhoïde. Elle marqua le début du déclin d’Athènes et fut décrite par l’historien Thucydide, lui-même touché par la maladie, ainsi que par l’homme d’Etat athénien Périclès qui en est mort. La peste antonine frappa l’Empire romain à la fin de la dynastie du même nom (durant les règnes de Marc Aurèle et Commode entre 165 et 190). C’est sans doute l’épidémie la mieux documentée de l’époque antique, certains scientifiques pensant toutefois, qu’il s’agissait plutôt de la variole. Certains historiens considèrent qu’elle marque le début du déclin de l’empire romain d’occident.
La dynastie antonine – les Antonins – lui a donné son surnom, l’Histoire Auguste nous l’ayant décrit. Aucune mesure de quarantaine ne fut prise, semble-t-il, car jugée inefficace. C’est pour se protéger de la peste noire qui fit des ravages au milieu du XIVe siècle en Europe et en Asie (ramenée peut-être de Chine par un navire vénitien), que l’on prit les premières mesures connues et documentées de confinement, à titre local. Elle fit des ravages, notamment au XIVe siècle (7 millions de morts en France sur 17 millions d’habitants, 75 millions de morts en Europe soit de 30 à 40 % de la population européenne de 1347 à 52 et de 30 à 40 % de la population chinoise). Les premières mesures documentées d’isolement des navires provenant de zones infestées apparaissent à Dubrovnik (Croatie) en 1377, puis à Venise (Italie) à partir de 1423. Mais il y eut aussi d’autres épidémies de peste (Barcelone en 1590, Milan en 1630, Marseille en 1720 et la peste des chiffonniers à Paris en 1820). « La méthode ressemblerait à ce qui a été fait pour lutter contre l’épidémie de peste, notamment la dernière à Marseille en 1720″, mais alors localement.
Cette épidémie constitue un précédent historique de confinement, l’un des seuls dans l’histoire de France, note l’historien Jean-Yves Le Naour auprès du Figaro. Elle fut propagée à partir d’un navire en provenance du Levant (probablement de Syrie), dans le port de Marseille, la maladie s’étant rapidement étendue dans la cité phocéenne (entraînant entre 30 000 et 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants), avant de se propager à toute la Provence. Sur le plan concret, « les foyers de peste étaient isolés du reste de la population ». Ainsi, « on laissait mourir les malades pour protéger les autres ». C’était ainsi le seul moyen connu et mis en pratique, à l’époque, pour lutter contre la propagation d’une maladie virale de ce type. Cependant, à la différence d’aujourd’hui, il s’agit là alors d’une mesure très localisée.
A l’époque, les déplacement étaient très restreints, surtout le fait de camelots, marchands ambulants et employés de services publics. Des « murs de la peste » ont été mis en place dans le Vaucluse en 1721 sur 27 kilomètres pour protéger la région. Ils sont gardés par des soldats, des gendarmes qui avaient ordre de tirer sur tous ceux qui tentaient de sortir du périmètre. Il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour le royaume. C’est le règne de Louis XV, le bien puis le mal aimé. Mise en quarantaine, la ville de Marseille a vu la peste disparaître petit à petit, à partir de 1722. On peut citer la technique du « cordon sanitaire », le terme naissant en France au XIXe siècle, lorsqu’en 1821, Paris envoie 30 000 soldats et gendarmes pour fermer la frontière avec l’Espagne, dans les Pyrénées, afin d’empêcher la diffusion d’une épidémie de fièvre jaune.
La grande vague de choléra ayant touché le continent dans les années 1830 sert de toile de fond au roman « Le Hussard sur le toit » de Giono dans une Provence ravagée par la mort et la désolation. Le premier cas fut attesté en France, le 26 mars 1832. Elle entraîne des mouvements d’hystérie collective. A Paris, la foule en délire massacre même quelques personnes accusées d’avoir empoisonné l’eau des puits. Elle fit environ 100 000 victimes, dans le pays, dont 18 402 à Paris. Le président du conseil Casimir Périer en est même mort, le 16 mai 1832. L’épidémie a remonté la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, puis Paris avant de s’éteindre d’elle-même en septembre – octobre 1832. Mais aucune mesure de ce type (quarantaine, confinement) n’a été prise. Selon l’historien Jean-Yves Le Naour, jamais une mesure de confinement d’une telle ampleur n’a été prise dans notre pays.
Même lors de l’effroyable épidémie de grippe espagnole, ayant fait entre 20 et 50 millions de morts entre 1918 et 1919, occulté largement par la 1ère guerre mondiale de 1914 – 18, le pays ne s’est pas mis en quarantaine. « La France avait un fléau tout aussi mortel à gérer, la guerre ». A Vannes, dans le Morbihan (en Bretagne), une épidémie de variole a marqué les mémoires, entre décembre 1954 et mai 1955. C’est la dernière recensée en France, ayant causé le décès de 16 personnes pour 74 cas, vraisemblablement causée par un appelé rapatrié d’Indochine, en 1952. Circonscrite à la région vannetaise, au début, elle entraîna le 1er janvier 1955 une mise en quarantaine du service pédiatrie et des patients à l’hôpital Chubert de Vannes. D’autres cas se déclarent en France dont un semblable à l’hôpital Michel-Lévy de Marseille, où sont recensés 45 cas dont un décès. Une campagne de vaccinations collectives de 250 000 habitants de la circonscription vannetaise, à partir du 6 janvier, 570 000 vaccinations à Marseille, 600 000 Parisiens souhaitant se faire vacciner et le ministère de la santé souhaitant atteindre les 11 millions de Français vaccinés.
A partir du mois de février, aucun nouveau cas n’est signalé et la quarantaine de l’hôpital Chubert de Vannes est levée en mars 1955. La dernière épidémie de variole en France se termine le 11 mai 1955. Pour la journaliste scientifique Laura Spinney, les mesures d’urgence adoptées en vue d’enrayer la propagation de l’épidémie de grippe espagnole en 1918 – 19 sont relativement similaires à celles décidées par les pouvoirs publics à partir de mars 2020, en France, face au coronivarus. D’ailleurs, nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de cette pandémie historique. Emmanuel Macron a ainsi déclaré, que cette crise sanitaire était la plus grave depuis un siècle (faisant implicitement référence à la grippe espagnole de 1918 – 19).
Il apparaît cependant difficile d’établir une comparaison entre une épidémie en cours et une épidémie révolue. Sachant que les statistiques relatives à la grippe espagnole restent très contestées, avec une fourchette très large, car il était très difficile de comptabiliser à l’époque, tel l’analyse Laura Spinney. Les pertes du conflit et des maladies pulmonaires liées à l’effet de l’utilisation des gaz viennent s’y ajouter. Selon les estimations, lors de l’épidémie de 1918 – 19, il y a eu entre 25 et 50 millions de morts, le taux de létalité des cas étant estimé à hauteur de 2,5 % !, explique-t-elle. La grippe espagnole était 25 fois plus dangereuse qu’une grippe classique, est-il estimé et établi. En ce qui concerne le coronivarus, sans certitude actuelle, le taux de létalité se situerait autour de l’ordre de 1 %.
Par contre, il s’agit aussi d’un nouveau pathogène au taux d’attaque très élevé. Les différences restent nombreuses, la grippe espagnole ayant la spécificité de toucher plus sérieusement des malades entre 20 et 40 ans, ce qui l’a rendu si désastreuse. Le coronivarus touche plutôt les personnes âgées de plus de 60 ans (la moyenne d’âge du patient en état critique étant de 80 ans), mais avec des tendances évolutives et en manquant du recul nécessaire. Sur le plan de sa diffusion, on sait que la grippe espagnole s’est déployée en trois vagues principales. La première a été modérée et ressemblait à une grippe saisonnière, de mars à juillet 1918. La deuxième a été plus virulente de septembre à mi – décembre 1918, où il y a eu la plupart des décès. Elle fut suivie d’une troisième nettement moins virulente, de mi – janvier à début avril 1919 en Europe de l’ouest notamment, en Asie jusqu’en juillet 1921.
La plupart des morts ont eu lieu en trois mois. Une forme de mondialisation était déjà existante à l’époque (comme depuis la plus haute antiquité), même si elle était beaucoup plus lente. La guerre a été un des facteurs déterminants, les scènes de liesse de l’Armistice, le 11 novembre 1918 accélérant la propagation et la diffusion du virus, au sein de la population. Les pénuries sont continues et la malnutrition généralisée dans les pays belligérants (particulièrement en France, en Belgique et en Allemagne), l’infection atteignant des populations malnutries, fatiguées, etc. Ainsi, les systèmes immunitaires étaient fragilisés par les privations subies durant quatre ans.
La population ignorait à peu près ce qui l’attendait. En septembre 1918, la mortalité du virus devient supérieur à la normale (les malades décédant en quelques heures d’une fièvre et d’une pneumonie foudroyante). A partir de fin 1918, cela a été effrayant. Certains scientifiques estiment que les conditions sanitaires inhérentes au conflit ont contribué puissamment à la virulence du virus dans sa diffusion. En temps normal, une nouvelle souche de grippe voit son acerbité fortement modérée avec le temps, par adaptation rapide du système immunitaire du malade. La souche n’a de surcroît pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge.
C’est ainsi que les grippes saisonnières connues commencent par des grippes pandémiques, se calmant avec le temps. Mais elles emportent juste les personnes très âgées ou très affaiblies, aux systèmes immunitaires déficients. Tout cela a contribué à l’exceptionnelle fougue de ce virus et à son prolongement dans la contagion, tel le rapporte un spécialiste.
Le virus H1N1 mute rapidement. Il apparaît le 4 mars 1918 dans un camps militaire américain de Funston au Kansas. La maladie s’y étend, contaminant les Sammies, qui le répandent en débarquant en Europe (le premier cas apparaît en France dans un camps militaire à Rouen). Les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne pas nuire au moral des populations, cachant son nombre de victimes (civiles ou militaires, car secret d’Etat). L’Espagne étant neutre pendant le conflit, il n’y avait pas de censure et la presse espagnole en a parlé la première, d’où son surnom de « grippe espagnole ».
Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant à observer, c’est qu’ils ont alors mis en place exactement les mêmes recommandations qu’aujourd’hui (distanciation sociale, quarantaine, isolation, masques, lavage de main…), mais sans confinement généralisé. Seuls ont été interdits après le 11 novembre, les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Nos réactions face à une pathologie inconnue sont identiques à celles de nos aïeux. Il est rapporté également par un journaliste, les débats dans un grand journal parisien de l’époque sur l’utilité de la désinfection des espaces publics parisiens, inefficace selon un expert de l’Institut Pasteur. La grippe espagnole est la cause de près de 400 000 décès en France, la plupart entre septembre et mi – décembre 1918.
Elle a emporté notamment le poète Guillaume Apollinaire, le journaliste et député Pascal Ceccaldi, la dramaturge Marie Lenéru, le pionnier de l’aéronautique Léon Morane ou encore l’écrivain et metteur en scène Edmond Rostand. Dans les victimes étrangères célèbres, on peut aussi citer Rodrigues Alves (président du Brésil), Louis Botha (premier ministre de l’Union sud-africaine), John H. Collins (acteur, réalisateur et scénariste américain), François-Charles de Habsbourg-Lorraine (archiduc d’Autriche). Mais on peut mentionner encore Franz Kafka (écrivain tchèque) et Max Weber (journaliste, économiste et sociologue allemand). Au temps de la grippe espagnole, il y a des effets de peur et de panique ponctuels, notamment à Rio de Janeiro, comme aujourd’hui, avec la prise d’assaut des rayons féculents des enseignes alimentaires.
Globalement, dans l’ensemble des pays belligérants, la population était épuisée et résignée après quatre ans d’un conflit meurtrier, relativisant les effets du fléau, voire y voyant « la confirmation mystique d’une apocalypse ». Les théories du complot étaient déjà présentes, soit les « fake news » de l’époque. Certains affirmaient que la grippe H1N1 était due aux miasmes s’élevant des champs de bataille de la moitié nord-est de la France. Et aux Etats-Unis, que le virus était une arme bactériologique que les Allemands avaient déposés sur les plages américaines. Les conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables, d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre. Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées pendant plusieurs années, sinon des décennies.
Tel cela pourrait être le cas, aujourd’hui, selon certains économistes, dans certains pays en voie de développement atteints par le coronivarus. Surtout par les effets économiques du confinement, si l’épidémie était amenée à durer. L’épidémie de grippe espagnole (virus H1N1) a eu parfois des conséquences inattendues. Nous avons une mémoire très occidentale de cette grippe, mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué (18 millions de morts rien qu’en Inde, où elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance et de 4 à 9,5 millions de morts en Chine, selon les estimations). Elle a fait 2,3 millions de morts en Europe occidentale, entre 500 000 et 675 000 morts aux Etats-Unis. Elle disparaît finalement d’elle-même, après avoir fait le tour de la planète.
La grippe espagnole a eu également ce qu’on appelle un « effet moisson », selon certains scientifiques. Nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de la pandémie de 1918 – 19. On s’est rendu compte de la nécessité de la mise en place d’une médecine socialisée, afin d’affronter les épidémies ne pouvant être traitées individuellement. Ce qui a stimulé les sciences embryonnaires (après les travaux antérieurs de Pasteur), telles la virologie et l’épidémiologie. Cette pandémie de coronivarus ou Covid-19 aura des répercussions en matière de gestion de la crise sanitaire et de recherche virologique. La grippe a espagnole a aussi contribué à la naissance des premières agences globales de santé (l’OMS) et des outils de surveillance. Aujourd’hui, cette pandémie nous interroge sur les financements de nos systèmes de santé confrontés à un relatif vieillissement de la population.
Dans une autre approche philosophique, ce qui est intéressant dans la solitude du confinement, c’est le destin collectif résultant d’une somme de destins individuels dans ce type de crise. En témoigne le rebond des ventes du roman La Peste d’Albert Camus, chef-d’oeuvre et premier grand succès littéraire de l’écrivain (prix Nobel 1957), couplé au soixantième anniversaire de sa mort. La ressemblance est prophétique, y étant décrit la ville d’Oran, en Algérie alors française, dans les années 1940, où s’abat une épidémie de peste dans l’insouciance du printemps. Y est témoigné dans ce roman, toute la pugnacité des médecins et du préfet pour tenter de juguler l’épidémie par les mesures appropriées. Mais surtout ce roman témoigne avec justesse des attitudes collectives face à une crise sanitaire : les collabos refusant la reconnaissance du mal, les résistants qui s’efforcent de s’organiser en vue de lutter, les profiteurs faisant du marché noir.
Le roman souligne l’aléatoire et le subjectif de la vie, s’avérant que nous sommes tous peu de choses (parfois), face à la maladie. C’est une méditation sur le mal, l’absurdité mais aussi la solidarité humaine, au travers cette lecture pas si anxiogène qu’il n’y paraît. C’est un portrait d’une société à qui on a ôté les libertés fondamentales. On y trouve différents personnages : Bernard Rieux, médecin oranais pragmatique et luttant contre la maladie, les autorités décidant le confinement de la population oranaise, Rambert, journaliste cherchant à fuir la ville, Tarrou tenant une chronique quotidienne sur l’évolution de la maladie, Paneloux, prêtre jésuite voyant dans la peste une malédiction divine. La Peste était aussi une allégorie du nazisme, dans le contexte de l’après-guerre.
Ce qu’il en ressort est que les hommes sont plutôt bons que mauvais, du moins selon Camus. « Chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne… ». Vu sous un autre point de vue, le confinement est une épreuve psychique à ne pas sous-estimer pour certains, susceptible d’engendrer : anxiété, dépression, frustration. Ce type de quarantaine ne se révèle pas être une expérience anodine, nécessitant parfois un soutien psychologique approprié. A ce titre, la médecine se fait le relais des crises d’angoisse et des insomnies ayant suivi la courbe de l’épidémie actuelle. S’y ajoute la peur pour l’entourage, le sentiment personnel de vulnérabilité face à la maladie dans une impermanence des choses, la crainte certes non réellement justifiée (mais réelle chez certains) d’une catastrophe sanitaire généralisée.
Tout cela a saisi les Français, à mesure que les autorités publiques prenaient conscience de la relative gravité de la situation. Après avoir trop attendu et pris les choses à la légère aux débuts, semble-t-il. Cette épidémie pourrait être maîtrisée à l’heure actuelle, si certaines mesures avaient été prises dès le mois de février, permettant d’éviter cette solution extrême du confinement général, si lourde de conséquences pour le quotidien des Français. Et cela alors que le président Macron s’affichait en public, au théâtre avec son épouse, le 9 mars dernier, en plein développement de l’épidémie en France, une semaine seulement avant l’annonce de la fermeture des lieux publics et du confinement.
Ce-dernier est semble-t-il mal conseillé dans son entourage, alors que nous avons des scientifiques très compétents et sa communication de crise a été désastreuse, bien qu’il soit toujours facile de critiquer, surtout après coup, car personne ne pouvait prévoir, mais gouverner c’est aussi prévoir. Emmanuel Macron vient seulement de rencontrer, hier après-midi, le professeur Raoult, savant fou pour les uns, très bon spécialiste pour les autres, pour parler notamment de son traitement à la chloroquine (qui serait efficace dans 91 % des cas d’infection), son entourage l’en ayant même dissuadé jusqu’à présent, quoi qu’il en soit.
Selon l’OMS, ce confinement pèse sur la santé mentale des Français et ces mesures peuvent avoir des conséquences comportementales pour certains. Il constitue une expérience sans équivalent dans l’histoire et met notre moral à rude épreuve. L’OMS tente d’alerter sur les conséquences des mesures sur l’isolement physique. Elle affecte nos passions (ce que nous aimons faire), notre identité et notre comportement (ce que nous voulons être), notre relationnel (avec qui nous voulons être). Sans oublier les conséquences économiques (situation de faillite…), en lien souvent direct avec le psychisme actuel des Français, absolument désastreuses (notamment pour les PME et indépendants) et aux conséquences incalculables, alors que l’économie est ralentie de moitié en France. D’autant plus que personne n’en connaît encore la durée.
Cette situation laissera des traces, dans le pyschisme des Français, étant encore trop tôt pour donner une idée du stress associé à cette situation de confinement drastique. La peur de la contamination, l’impact psychologique lié à l’isolement, les risques suicidaires, les addictions, la solitude, le stress, l’anxiété, sont autant de conséquences… Par ailleurs, quoi qu’il en soit de la durée de ce confinement, dans l’hexagone, la mauvaise gestion de la crise par les pouvoirs publics constituera un précédent historique, en la matière. Cela ne restera pas sans conséquences pour le pouvoir macronien et aussi sur l’organisation de notre système de santé, en général.
J. D.