
Du projet de déchéance de la nationalité, à l’affaire des gens du voyage, en passant par les incidents de Grenoble et de Saint-Aignan du mois de juillet, jusqu’au projet de loi d’interdiction du port du voile intégral en France, passé à la rentrée devant le Sénat, l’actualité intérieure a été pour le moins sécuritaire et polémique, ces deux derniers mois. Mais l’Etat français a-t-il de toute manière en 2010, encore les moyens de sa politique en la matière ?
Nicolas Sarkozy est maintenant au pouvoir depuis huit ans. Il est arrivé place Beauvau en septembre 2002, suite au coup de semonce de l’entre-deux-tours. Le souvenir de l’échec de la gauche s’efface peu à peu et la marge de manœuvre de la droite, à l’approche des présidentielles de 2012, risque de se rétrécir dangereusement… Les chiffres de la délinquance ne sont pas en baisse, loin de là. Comme on l’a vu, cet été, à Grenoble, certains quartiers populaires continuent bel et bien à vivre sous la coupe réglée de bandes… L’actualité est là pour nous le rappeler. En matière migratoire, dont Nicolas Sarkozy avait fait un sujet de campagne électoral important, 200 000 étrangers continuent à entrer légalement ou non chaque année, à peu près autant que sous le gouvernement Jospin. Les cas d’expulsés touchent essentiellement des clandestins dans les DOM-TOM (ile de la Réunion, Mayotte ou Guyane) et peu la France métropolitaine… Les liens entre délinquance, étrangers, insécurité, chômage, immigration depuis près de vingt-cinq à trente ans, sont le sujet « tarte à la crême » de la vie politique française, d’ailleurs « interdits au nom de la morale par une armée d’intellectuels, de médias français et internationaux, de bien-pensants », dixit M. Zemmour. Même si la réalité sociologique, les policiers sur le terrain, etc. en apportent parfois une part de preuve…
Sont ré exhumés aussitôt en réponse par la gauche et certains milieux bien-pensants, « les fantômes défraîchis » de Pétain, de Laval, de Vichy, « de la rafle du Vel d’hiv ». « Le Front national est rituellement invoqué comme le diable à repousser ». Ceux dénonçant les vieilles ficelles sécuritaires et populistes, « disent-ils de Sarkozy », il faut le reconnaître, n’ont certes pas beaucoup plus d’imagination, nous resservant à chaque reprise « les mêmes incantations religieuses ». Il est vrai, l’exaspération et la souffrance des Français sont telles, que celui qui ose transgresser ces tabous et se fait insulter par ces bien-pensants est sûre de se faire entendre du peuple. C’est ce qui a permis à Nicolas Sarkozy de se faire élire en 2007. Et cela, Nicolas Sarkozy dès son arrivée, place Beauvau, l’a fort bien compris. Et il l’a utilisé, en a usé et abusé… Mais là n’est pas le fonds du problème. Il se trouve sinon que l’Europe n’a aucune politique et convergence de vue précise en la matière, à proprement parler. Le gouvernement espagnol a régularisé deux millions de sans-papiers (mais il en reste encore près d’un million et demi, en Espagne, en particulier en Andalousie)… Toutes politiques en la matière, ne peut se concevoir qu’au niveau européen, dans un cadre clair et en partenariat, ainsi qu’avec les pays tiers. Tout le reste n’est que démagogie.
Concernant l’affaire de la déchéance de la nationalité française, Nicolas Sarkozy a tranché, elle sera étendu aux français naturalisés depuis moins de dix ans, reconnus coupables de meurtre sur dépositaires de l’autorité publique, c’est-à-dire policiers, gendarmes, magistrats. Cette question de la déchéance a d’ailleurs suscité fantasmes et délires estivaux ; on a évoqué Vichy, et le sort des juifs persécutés. Cela fait écho encore une fois, aux sirènes de l’actualité, à savoir les incidents de Grenoble du mois de juillet 2010. Mais cette mesure, de tout de façon fait double effet. La déchéance de la nationalité a toujours existé dans la République. Le conseil constitutionnel l’a déjà béni. Ce sont les socialistes, sous Jospin, qui en 1998 en ont restreint exagérément le champs d’application au domaine du seul terrorisme. Il suffisait de revenir au statut-quo ante. La plupart des tireurs, comme à Grenoble, sont nés en France et naturalisés depuis trop longtemps pour être concerné par le « durcissement de cette loi », l’extension du champ de la mesure (« au mieux quelques dizaines de cas par an »). On a fait mine de croire qu’on allait créer des apatrides par milliers, alors que les conventions internationales et surtout « européennes » signées par la France, l’interdisent formellement. Ce furent posture et imposture. Il convient de tout de façon, de prendre le problème à la racine. Et de demander aux préfectures de revenir à une approche sérieuse de la question, en exigeant que les associations à l’activisme dont c’est l’étendard, cogérant trop souvent ces demandes au sein des préfectures, ne puissent plus faire pression sur les autorités de l’Etat. En tenant ce type de propos, je ne relève d’aucune logique partisane.
On a instauré cet examen de connaissance de la langue française et de nos valeurs, mais qui se révèle en réalité souvent dérisoire. En revanche, tel le rappelle justement Eric Zemmour, principal, presque seul et essentiel chroniqueur à avoir réellement couvert le sujet dans l’actualité récente, « le degré d’assimilation était naguère le fondement de toute approche sérieuse de la question ». Cet article du code n’ayant pas été abrogé, « il pourrait être réutilisé systématiquement, l’assimilation n’est pas l’intégration aux critères platement économiques » ; c’est « l’acquisition des codes culturels ancestraux et de notre mode de vie, bref de notre civilisation ». Le polygame de Nantes, au vu de ses accoutrements et de ses quatre épouses, ne se serait ainsi jamais vu accorder la nationalité française. Il serait aussi plus efficace de rompre l’obtention quasi-automatique de la nationalité française, pour tous les étrangers qui épousent un citoyen français. C’est devenu un système efficace pour obtenir des papiers, obtenir la nationalité enfin. Ce sont les fameux mariages blancs. Mais ça ne règlera pas tout le problème. Concernant l’affaire plus significative des Roms, les plus subtils ont pu bien-sûr décelés dans cette contre-offensive médiatique, une volonté de détourner l’attention de l’affaire Woerth, le ministre de la justice tenant de plus en plus difficilement sous les attaques médiatiques. C’est la formule de Claude Guéant, conseiller spécial de M. Sarkozy à l’Elysée : « La France n’a pas vocation à accueillir tous les Roms »… Cela résume bien la problématique en France et en Europe, à l’heure actuelle sur le sujet ; même si elle paraphrase la fameuse tirade de Michel Rocard : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde… ».
Cela était écrit. Tout le monde le savait « à Paris, à Bruxelles, à Rome, à Berlin, à Bucarest aussi ». Si la Roumanie et la Bulgarie, furent les deux derniers pays du défunt bloc communiste, à intégrer l’Union Européenne en 2007, ce fut à cause de la corruption des dirigeants politiques et du retard économique… Mais aussi en grande partie à cause des Roms. Les neuf millions de Roms, très pauvres, pour la plupart jamais scolarisés en Roumanie, affolaient tous les dirigeants européens. Il était en effet, à craindre, « un déferlement d’enfants dressés pour mendier et voler et la prostitution massive de très jeunes filles ». Pourtant, il convient de le rappeler, les traités européens prévoient une restriction à la liberté de circulation, pour lutter contre la criminalité, qui en relève souvent. Lors des négociations d’adhésion de la Roumanie, des clauses de sauvegarde avaient de surcroît été négociées, permettant à Brice Hortefeux d’affirmer avec raison, que les camps des Roms sont illégaux et qu’il respecte la loi française et la loi européenne…
Mais les mesures de démantèlement des Camps Roms ne suffiront pas ; les Roms ont pris volontiers les 300 euros distribués par la République et le contribuable français ; mais ils reviendront. Le principe de libre circulation en Europe leur sert de viatique et de protection. C’est pourquoi les Italiens veulent déjà aller plus loin, et demandent qu’on puisse expulser des citoyens communautaires des pays où ils vivent, et constituent un fardeau pour les systèmes sociaux. Il y a quelques mois déjà, Berlusconi s’était lui aussi, vu administrer une admonestation papale, pour sa conduite envers les Roms. Mais la France attire particulièrement, en raison de ses structures sociales et scolaires, cumulant harmonieusement générosité et laxisme.
On apprend récemment, toujours à propos des Roms, que la commission européenne menace de poursuivre la France en justice. La commissaire chargée de la justice et des droits fondamentaux, la luxembourgeoise Viviane Reding, très en colère, a assuré ainsi « que de tout de façon, la question de la circulaire au sujet des Roms, rend la situation de la France, intenable vis-à-vis des lois européennes ». La presse britannique, un journaliste récemment dans le quotidien « The Guardian », fustige la France droit-de-l’hommiste, critique sa politique migratoire et populiste, allant dans le sens des rappels à l’ordre de Bruxelles. Mais l’enjeu est plus vaste. Il s’agit de savoir, si un pays communautaire a encore le droit de faire respecter sa souveraineté. Si la menace à l’ordre public, évidente dans le cas des Roms, peut encore justifier les expulsions d’étrangers même communautaires. Ou si l’Europe consiste désormais à faire prendre en charge par les pays fondateurs de l’Union, les populations dont ne veulent pas les pays récemment entrés.
La République française, dans la réalité des faits, s’est comme « volontairement attachée les mains ». Depuis des années, comme cela a déjà été précisé, l’Etat français signe en effet, à tours de bras, des conventions internationales et « européennes » au nom des droits de l’homme, qui le confinent en réalité, à l’impuissance (regroupement familial, interdiction d’expulsions collectives, suppression des frontières, etc). Longtemps les plus grands juges français, ont refusé au nom de la souveraineté de la nation, de soumettre la République, à ces traités. Avant-guerre, la IIIe République (celle de Clémenceau, Jaurès…) n’en faisait qu’à sa tête, quand elle estimait défendre les intérêts de la nation. Il faut dire que la République française avait alors, « une autre idée de la souveraineté, arrachée, il est vrai depuis peu à la tête des Rois ». « On faisait une grande distinction entre français et étrangers, non par xénophobie, mais parce que comme disait Jaurès : « La nation est le seul bien des pauvres ». La République avait été fondée pour défendre farouchement les intérêts de la nation ». Entre temps, l’Histoire a suivi son cours. Il y a eu la seconde guerre mondiale, la Libération, et la construction européenne… Et depuis le milieu des années 80, la gauche au pouvoir a entamé avec l’acte unique, l’édification d’un marché unique européen, réglé par la libre circulation des capitaux et des marchandises, celle des hommes.
Aussitôt après son élection, Nicolas Sarkozy lui-même, s’était empressé de faire ratifier par le Parlement, le fameux traité de Lisbonne, copie conforme de la constitution proposée par Giscard, que le peuple français avait repoussé par référendum, deux ans plus tôt et ayant valu la chute du gouvernement Raffarin. Et c’est au nom de la Charte des droits de l’Union Européenne, qui n’a pris valeur obligatoire qu’avec ce traité, adopté en sous-main, que Bruxelles veut précisément faire condamner la France. Nicolas Sarkozy regrette-t-il aujourd’hui son choix ? La France ne dispose en réalité, que d’une marge de manœuvre restreinte, en matière de politiques d’expulsions de nos jours, au sein de l’Union européenne.
Bucarest dans l’affaire, somme la France de mener une politique d’intégration en faveur de ces populations, soit faire ce que la Roumanie n’a jamais fait, alors que le nouveau pays entrant, va percevoir entre 2007 et 2013, près de vingt milliards d’euros d’aide de Bruxelles ; mais n’a pas encore trouvé le temps, ni les moyens, d’en affecter une partie aux Roms. Pour conclure sur cette tirade zemmourienne résumant bien le propos : « Il y a quelques mois, la fourmi allemande était déjà contrainte de faire un gros chèque, pour sauver la cigale grecque. Aujourd’hui, l’école de la République française est réquisitionnée pour scolariser les enfants Roms… L’Europe, c’est quand même merveilleux. Mais on ne sait plus si c’est un rêve ou un cauchemar ? ».
J. D.