Les lendemains de triomphe
En ce début d’automne, cette euphorie estivale étant maintenant retombée et bien qu’y allant d’une tardive analyse à rebours, je souhaiterais revenir avec recul sur cet événement sportif, ce triomphe des bleus, vu sous différents angles. Et cela alors que la rentrée politique et sociale s’offre à nous, non sans animations. On se souvient de cette liesse populaire et historique, en ce dimanche de juillet, comme la France les aime, sous le soleil et la chaleur estivale. La France célébrait son titre de championne du monde de football et ne voulait pas que la fête se termine. Une foule impressionnante était réunie sur les Champs-Elysées pour acclamer quelques minutes ses héros, ses joueurs qui ont non seulement remporté le titre suprême mais aussi acquis une popularité hors-norme. La célébration fut bruyante, parfois même délirante, prouvant que ce qui s’était passé à Moscou, était bien plus que du sport. C’était un moment de communion nationale comme en juillet 1998 et la victoire à cette coupe du monde de foot, organisée en France. Ce retour populaire fut à la hauteur de l’émotion, des moments de réjouissance collective, absolument immense avec un mélange de fierté, de plaisir, suite à cette victoire en finale face à la Croatie.
Quand on est-ce qu’on a entendu un footballeur dire vive la République, à part peut-être Lilan Thuram, revendiquant son appartenance à la République et à la France ? Comment fait-on pour reconquérir sportivement, le cœur des Français, après différents échecs sportifs pour l’Equipe de France ? Cette victoire, était-ce aussi le triomphe du sport ou des sponsors ? Grande liesse populaire mais superficielle et éphémère, diront certains. Et quand le carrosse redevient citrouille, qu’advient-t-il ? Pourquoi certains sont-ils écoeurés par cette euphorie ? On a parlé de la Russie de manière positive. Sur place, est-ce que cela a été le fait d’une coercition un peu excessive ? Outre son très beau parcours, est-ce que le peuple russe s’est approprié cette coupe du monde ? Etait-ce aussi une victoire médiatique pour le président Poutine ? Qu’est-ce qui démarque cette coupe du monde, pleine de rebondissements sportifs ? Que disent les économistes sur les retombées de cette victoire, maintenant en cette rentrée ? Macron profite-t-il de cette victoire à fond ? Est-ce vraiment de la récupération de sa part ? Quels sont les critères pour recevoir la légion d’honneur, les joueurs de l’équipe de France l’ayant tous reçus récemment ? Sont-ils conscients de ce qu’elle représente et fallait-il la leur donner ? A-t-on le droit de trouver excessive cette mainmise du ballon rond sur l’actualité ? Combien ce mondial rapporte-t-il à la FIFA ? Didier Deschamps va-t-il poursuivre sa mission ou à défaut, Zidane ? Est-ce que Deschamps et certains joueurs comme Mbappé, Giroud, Griezmann contribuent aussi à cette envie de participer à cette équipe ? Ce sont autant de questions qui peuvent être soulevées.
Nous sommes toujours à la recherche d’une signification sociologique et politique, à savoir pourquoi cela arrive à cette France-là, à ce moment-là. Et cela pour trouver des explications qui ne sont pas toujours pertinentes, accompagnant cet événement, avec cette sorte de légende sportive s’écrivant. C’est la mythologie du sport français dans ses grandes heures. Cela arrivait dans une période qui n’était pas inédite, il faut le dire. Toute une série d’épreuves ont été traversées à l’échelle nationale, non seulement les attentats de l’automne 2015, mais depuis 1998 et la précédente victoire, la crise économique et financière de 2007-08 dont on porte encore aujourd’hui les stigmates. Soit toute une série de traumatismes et de tensions sociales qui donnent une certaine couleur à cette victoire. Certains diront que c’est le début d’une ère nouvelle, où cette équipe de France enthousiaste ensemencerait cette humeur collective d’un sens du positif. A savoir une équipe dont l’épopée continue à s’écrire. Ce qui est à observer, en vue de l’euro, après ce match nul plutôt décevant face à l’Islande, mais aussi suite à cette victoire face à l’Allemagne sur un doublé d’Antoine Griezmann.
Autant de drapeaux bleu-blanc-rouge dans les rues, on voit cela très rarement, si ce n’est le 8 mai 1945, le 11 novembre 1918, mais c’était pour clore des tragédies gravissimes, des guerres. Or le football a cette capacité de mettre dans la rue des millions de Français agitant un drapeau. Ce qui éteint un temps les différences sociales, comme à l’armistice, pendant ce moment de patriotisme positif. Ce qui s’accompagne de cet hommage républicain devenu un rituel, avec la réception à l’Elysée et le bain de foule au balcon de l’hôtel Crillon, place de la Concorde (mais pas cette fois-ci exceptionnellement). Comme ce fut le cas en 1998 et en 2006 lors de la finale ratée. Emmanuel Macron a profité à plein de ce bref interlude socio-médiatique, comme Jacques Chirac et Lionel Jospin le firent en leurs temps. Mais seul le football permet de communier ainsi. Ce n’est pas faire offense, mais la finale de volley à laquelle s’est hissée l’équipe de France, durant la même période, n’a pas, loin s’en faut, suscité cela.
Le football a cela de particulier de générer des passions collectives autour du ballon rond, étant à la fois mondialisé et venant renforcer l’identité nationale, en rassemblant. En effet, il y a ce besoin de communier, le football suscitant des émotions collectives, dans une ferveur à l’échelle hexagonale. Cela contribue à détourner aussi l’attention de l’actualité, à titre provisoire, comme l’a dépeint feu Jean d’Ormesson dans son éditorial du Figaro, après la victoire en finale 1998, en tant que pays hôte et vainqueur de la coupe du monde de football, à l’époque. Effectivement, ce fut un succès, personne n’ayant plus pensé à rien provisoirement, enfin ou presque. Cela en fait l’élément constitutif et peut-être le seul, comme l’analysait alors d’Ormesson, « d’un pacte social en charpie ». Cela vaut mieux « qu’une guerre et tue moins de monde ». Ce type d’événements ressuscite le patriotisme, incarne l’intégration, « chasse la morosité qu’intellectuels et bureaucrates ont été incapables de combattre », « rend au peuple désabusé par les politiciens l’enthousiasme et l’espérance ». Il aura fallu cette victoire pour retrouver l’atmosphère de la Libération. Le football a cette capacité de rassembler, c’est originel.
La particularité du football c’est qu’il a été très vite, étant né, approprié par la société, d’abord la classe ouvrière anglaise à la fin du XIXe siècle, dans un premier temps, avec des règles simples à comprendre. En 1885, le professionnalisme émerge tandis que les premiers clubs apparaissent à travers le monde particulièrement en Europe et en Amérique du sud. Bordeaux est le premier club français professionnel né en 1882, le Bayern Munich étant né en 1899 outre-Rhin et l’Olympique de Marseille, par exemple, la même année… La FIFA est fondée en 1904 à Paris par des représentants de sept pays européens. La FFF est née la même année. Encouragé par le succès populaire rencontré par les tournois de football aux jeux olympiques, ce qui fut décidé en 1928 sous l’impulsion du français Jules Rimet, alors président de la FIFA, la 1ère édition de la coupe du monde est organisée en Uruguay en 1930 (dont l’équipe nationale sort vainqueur).
Prévue tous les quatre ans, les éditions suivantes se déroulent en 1934 et 1938 marquée une victoire de la Squadra azzura exploitée à des fins de propagande politique (l’Italie étant alors fasciste, la victoire de 1982 ayant permis d’effacer cet héritage embarrassant). Après un intermède lié à la seconde guerre mondiale, la compétition reprend en 1950. L’équipe allemande, la Mannschaft compte l’un des palmarès du football mondial les plus fournis, avec un record de huit finales de Coupe du monde, dont quatre remportées par la RFA en 1954, 1974 et l’équipe allemande réunifiée en 1990 et 2014. Mais c’est le Brésil, la Seleçao, qui a remporté le plus de fois le trophée mondial respectivement en 1958, 1962, 1970, 1994 et 2002. « Les Bleus » font entrer la France dans le carré des nations ayant été sacré championne du monde à deux reprises, avec la victoire en 1998 à domicile et en 2018 en Russie, à l’image de l’Argentine en 1978 et 1986.
La France a eu de très grands joueurs dans l’après-guerre. On peut citer Raymond Kopa ou Just Fontaine, ayant inscrit 164 buts en 200 matchs dans sa carrière et 13 buts en équipe nationale en une seule phase finale (à l’édition du mondial 1954). Ce qui est un record toujours inégalé. Par ailleurs, à l’image de nombreux pays, le football en France est le sport le plus populaire et la dont la pratique est la plus répandue. Si le football est né en Europe, il a donné lieu, en Amérique latine, à une culture de masse spécifique d’une puissance telle que l’objet transféré en est ressorti profondément transformé. Les conditions de sa réception et de son développement ont été fondées sur un antagonisme avec le vieux continent sans cesse réactivé. Des dimensions sociologiques, coloniales, politiques entrent en compte dans la mise en avant du football en tant que vitrine idéologique notamment et au travers le succès d’équipes nationales. Comme du temps des républiques populaires d’Europe centrale et de l’URSS, avec la RFA et la RDA, soit une vitrine politique.
On en a fait des outils de construction nationale, mais aussi des éléments d’opposition notamment idéologique ou symbolique, comme du temps de la guerre froide ou par exemple avec les dominants coloniaux. Et l’on voit cela dans tous les pays, au travers des rivalités régionales aussi, à Barcelone lorsque le Barça remporte la ligue des champions ou le Real Madrid. On le constate aussi au travers la rivalité entre le PSG et l’OM, le club de la capitale et celui de la province. Donc un sport d’emblée qui est plongé dans des problématiques sociales, nationales, politiques, voire culturelles, etc, pour un jeu professionnel, médiatisé très vite aussi (radio, tv…). Dans le développement des médias privées dans les années 1980, le football est ce que l’on va chercher comme type d’activités à montrer aux téléspectateurs. Canal + lance rapidement son offre privée avec décodeur autour de la rediffusion de certains matchs de football, notamment ceux du PSG.
Cela démultiplie également les effets du ballon rond, dans des pays qui ne le connaissaient absolument pas et qui vont le reprendre également, comme dans les pays d’Asie. A ce titre, cette coupe du monde fut étonnante sous de nombreux abords, certaines équipes nationales s’étant démarquées. Il est à noter, la montée en puissance des équipes asiatiques. Telle la Corée du sud qui a éliminé la Manschafft (pourtant encore championne du monde en titre !), dès le 1er tour, à la surprise générale. Le Japon a également mis à mal la Belgique de Eden Hazard, qui a signé une remontada (3 – 2) pour se qualifier pour les quarts de finale sur des buts de Vertonghen, Fellaini et Chadli, lors l’un des plus beaux matchs de la coupe du monde. Les diables rouges ont ensuite défait le Brésil de Neymar (2 – 1 ), se hissant en demi-finale face à la France. Une petite génération de footballeurs asiatiques évoluant dans certains clubs étrangers (notamment européens) de haut niveau, émerge sensiblement. A l’image du défenseur japonais Kiroki Sakai à l’OM, de l’ex-attaquant Keisuke Honda au Milan AC ou le Sud-coréen Son Heng-Min, évoluant au poste d’ailier droit à Tottenham.
Pour la deuxième fois depuis 1986, la Belgique entrait ainsi dans le dernier carré d’une Coupe du monde. Mais on peut mentionner également la prestation des Suisses, qui se sont hissés jusqu’en huitièmes de finale. Alors dernière équipe africaine en lice, le Nigéria s’est pris à rêver de grand huit, mais les « Green eagles » furent logiquement battus 2 – 0 par la Croatie. Le nombre de licenciés en Inde ou en Chine, au Japon, dans certains pays d’Asie du sud-est, en Océanie, mais aussi en Amérique du nord (et en particulier aux Etats-Unis) progresse de manière significative. Le football reste toutefois un sport mineur outre-atlantique, détrôné par le football américain et l’éternel baseball, mais touchant un nombre sensible tout à fait intéressant de personnes. Par ailleurs, la plupart des grandes équipes prétendantes et toutes les équipes sud-américaines étaient éliminées en 1/4 de finale : Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Brésil, Argentine… Tel le titrait « Courrier international », ce fut le naufrage de l’Amérique du sud, la corruption, l’exportation précoce de talents et une formation adéquate se retournant contre une école jadis éblouissante. La seule exception fut l’Uruguay.
L’organisation a été parfaite, le hooliganisme qui était prévu n’a pas été vu. Il y a eu une ferveur nationale, la Russie étant un immense pays. Classé 70e au classement mondial de la FIFA, la « Sbornaïa » (littéralement « équipe nationale » en russe) est arrivée en 1/4 de finale. Elle s’est qualifiée pour les huitièmes (deux victoires contre l’Arabie Saoudite et l’Egypte, contre une défaite face à l’Uruguay), où elle a éliminé l’Espagne (la « Furia ») aux tirs au but, à la surprise générale. Puis c’est également aux tirs au but que la sélection russe s’est fait sortir par les « Vetrani » (les Croates, futurs finalistes) en quart de finale. Et cela au cours d’un match qui ne fut pas le plus étonnant de la compétition, sur le plan technique, mais plein de suspense, la Russie ayant égalisé à la dernière minute pour arracher les « pénos ». Soit un très beau parcours, certes en tant qu’équipe du pays hôte, qualifiée d’office.
Cette sélection russe a d’ailleurs son histoire spécifique, héritière de la sélection soviétique et de la CEI jusqu’en 1992 (réunissant alors sous le même maillot des joueurs de nationalité russe et ukrainienne à près de 60 %). L’équipe soviétique a été championne d’Europe en 1960, quatrième à la Coupe du monde 1966, et a décroché deux médailles d’or aux Jeux olympiques de 1956 et 1988. La sélection russe a ensuite connu une certaine irrégularité de 1996 à 2006. L’handicap du football en Russie est le climat, empêchant les matchs à l’extérieur, durant la saison hivernale, d’où une saison d’entraînement particulièrement courte. Bien que certains joueurs russes évoluent aussi dans des clubs européens. Mais la sélection ukrainienne est souvent plus mordante, pour des raisons aussi climatiques, la moitié ouest de l’Ukraine bénéficiant également d’un climat plus tempéré. En tout cas, les Russes sont fiers d’avoir accueilli le monde dans de bonnes conditions et tous les supporteurs étaient surpris de la qualité de l’accueil, car la Russie n’a pas spécialement une réputation notable du moins, en la matière. Les JO de Sotchi étaient plus verrouillés. Macron s’est mis en scène également, en déplacement à Moscou.
On se souvient qu’en 1998, Chirac suit le peuple, le football étant populaire. Bien qu’à la différence de Macron, Hollande ou Sarkozy, Chirac n’y connaissait rien au football. En 1998, au Stade de France, invité à s’exprimer au micro depuis les tribunes, il avait eu besoin que l’on l’assiste pour égrener les noms des bleus évoluant sur le terrain, n’en connaissant pratiquement aucun. Mais bien que s’y connaissant lui, si Macron s’était détourné de cet événement, on aurait dit qu’il ne comprenait pas ses compatriotes. 36 millions de Français ont regardé le match, sans compter les bars, les fan-zones, etc. Macron n’en fait pas nécessairement trop. Il était avec les bleus. Il aurait été inconvenant qu’ils ne les reçoivent pas et qu’il ne se déplace pas pour la France, assister à la finale à Moscou. C’est quelqu’un qui maîtrise aussi très bien la com’. La fameuse photo de lui dans les tribunes, exaltant le poing levé en avant, a été prise par un photographe présent pour cela, puis posté instantanément sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron est quelqu’un qui réagit très spontanément. Il y a eu ensuite l’histoire des vestiaires et de sa visite aux joueurs de l’équipe de France victorieuse, comme Chirac et Jospin en 1998. C’est évidemment sympathique. On se souvient aussi de Gaulle renvoyant le ballon à une finale de coupe de France. Cela tombe très bien également, pour Macron, sur le plan de la com’.
Déjà en 1998, Chirac et Jospin ont beaucoup récupéré cette victoire, édifiée autour du mythe du black-blanc-beur. Bien que l’équipe de France ait déjà compté, dans le passé, des joueurs de couleur et / ou d’origine étrangère (Larbi Benbarek, Abdelkader Ben Bouali en 1938, Raymond Kopa, Abderrahman Ibir, Jean Swiatek, Edouard Kargulewicz, Mustapha Ben M’Barek dans les années 1950, Luis Fernandez, Michel Platini, Jean Tigana ou Marius Trésor dans les années 80…). Cela vient dans une période de doute, la France ne cessant de s’interroger sur la question de l’identité nationale, présente dans plusieurs domaines, avec également plus de chômage encore qu’en 1998. Mais il faut effectivement éviter de renouveler les mêmes histoires, de reprendre les mêmes recettes communicatives. C’est aussi le pouvoir de séduire, le rayonnement à l’étranger étant positif. Tout le monde peut parler de football, car c’est quelque chose que tout le monde peut partager, quelque soit l’intérêt qu’on y porte, avec des règles simples (si ce n’est peut-être le hors-jeu), à la différence du rugby plus complexe.
Tous les politiques récupèrent les événements qu’ils peuvent récupérer. Macron aurait eu tort de ne pas s’intéresser à ce mondial, de ne pas se déplacer à Moscou, donc il était obligé de participer et en participant, il récupère. En 1998, cela validait le mythe dit de la France black-blanc-beur, qui était la visibilité des minorités. On ne va pas avoir de réel projet communicatif, cette fois-ci. Mais on aura des discours sur l’excellence, le travail, la relation à la symbolique de cette équipe, ce qui est aussi de la com’. C’est cependant très différent que ce qui se passe en 1998. D’abord parce que le mythe du black-blanc-beur, on sait que c’est un leurre, les problèmes se posant, avec Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002. Mais on sait comment on va lutter pour éviter cet éclatement de la société, en reprenant la symbolique de cette équipe, la citant en exemple, notamment dans un message adressé aux jeunes chômeurs des banlieues ou d’ailleurs, les incitant à se prendre en main avec l’Etat, les collectivités locales et avec si possible des jeunes gens qui vont se trouver un boulot, fonder une famille et construire la République française. Ou du moins c’est la recette communicative du moment.
« Black-blanc-beur », c’était une réponse à Jean-Marie Le Pen, disant qu’il y avait trop de joueurs antillais ou d’origine africaine dans l’équipe de foot, la France n’étant pas représentée équitablement dans sa diversité. Là, on ne va pas reprendre les mêmes termes, sur le plan des médias et de la classe politique. Nous sommes français dans la diversité de la France. On parle de fraternité, en disant la même chose, avec d’autres termes car déviés sur le plan sémantique, à savoir de gagner dans la diversité, avec des footballeurs originaires de Bondy (Seine-Saint-Denis), d’autres de Mâcon (Saône-et-Loire), de Chambéry (Savoie), de Baie-Mahault (Guadeloupe), de Maubeuge (Nord), de Nice (Alpes-Maritimes), etc…. Aujourd’hui, même si les médias étrangers parlent de l’origine étrangère d’un certain nombre de joueurs (environ onze sur vingt-trois étant d’origine africaine ou antillaise), on a l’impression qu’en France on a surtout parlé de sport, il est vrai et non plus du pourquoi du comment. On célèbre le sport. On a beaucoup parlé de fraternité, sans faire des clivages comme en 1998 et en 2006, contrairement à une certaine presse étrangère, notamment transalpine.
On se souvient de cette polémique autour de l’affaire dite des quotas, qui a été aussi grossi comme souvent dans les médias. Dans les centres de formation, il était question d’essayer d’éviter de choisir trop de blacks et de beurs et une longue conversation avait été enregistré. La décision n’a jamais été prise. Le monde du football est l’un des plus grands vecteurs de lutte contre le racisme. Il est toujours un peu curieux de monter cela en scandale, à ce titre, car en termes de lutte contre les discriminations et d’égalité des chances, il n’y a plus significatif que le football. En foot, vous êtes bon, vous n’êtes pas bon, peu importe votre origine. C’est aussi une histoire de l’empire colonial français. Il y a aussi le cas des bi-nationaux comme Hernandez, qui est franco-espagnol, mais dont le père était entraîneur en France. Hernandez aurait pu choisir aussi l’équipe espagnole, mais il a préféré l’équipe de France, par les trajets des parents, etc. C’est propre aussi au football, Hernandez ayant vécu longtemps en France, bien qu’étant retourné vivre en Espagne.
Il n’y avait pas une star aussi, comme Zinédine Zidane en 2006. L’équipe était plus équilibrée, s’appuyant sur les joueurs d’expérience à savoir Hugo Lloris, Olivier Giroud… Ce qui avait tué un peu le football français, c’était ces bandes générationnelles, à savoir la génération Karim Benzema, Samir Nasri voulant prendre leur place aux joueurs de 1998 (Thierry Henry, etc…). A part l’attaquant Olivier Giroud et le gardien de but Hugo Lloris, légèrement plus âgés, l’équipe était assez homogène sur le plan de la moyenne d’âge, allant de 22 à 25 ans. Paul Pogba a pris une certaine dimension dans cette coupe du monde. Ce qui est intéressant par ailleurs, au sujet d’un joueur en particulier, à savoir Antoine Griezmann, c’est qu’il vient vraiment de la France profonde du foot, le petit club local, dans la tradition très républicaine, la France, son clocher, son terrain.
Et ce n’est pas en France qu’il fait sa carrière, puisqu’on n’en veut pas. Il a été rejeté très jeune dans les centres de formation hexagonaux, parce qu’il est trop petit. Il doit tenter sa chance de l’autre côté des Pyrénées, où il a effectué toute sa carrière. Mais il se rattrape de ce rejet, au travers son engagement dans l’équipe de France. Olivier Giroud a bien joué aussi et s’est montré indispensable, bien que n’ayant pas marqué un seul but. Didier Deschamps a toujours été lui le stratège sur le terrain, comme Aymé Jacquet, qui était entraîneur alors qu’il était déjà capitaine. Il en est le digne successeur car il prend toujours de haut les problèmes. Et puis, Aymé Jacquet a eu le courage d’évincer David Ginola et Eric Cantona en 1998, énormes stars mais des fortes personnalités assez égotistes. Et il a pesé pour que ces deux-là soient écartés, après réflexion, car jugés responsables de la défaite de 1993 face à la Bulgarie de Kostadinov. Didier Deschamps a fait de même pour Karim Benzema.
C’est une autre manière de retrouver Aymé Jacquet. C’était le modèle de l’instituteur, soit retrouver des entraîneurs de football qu’avaient créé la République, une forme de terroir, une certaine forme de réalisme véhiculé par Deschamps, avec une forme d’exigence dans le travail et qui le rend sympathique. Il semble travailler bien, il a toujours le sourire, il fait des plaisanteries. Il y a un très grand écart entre cette simplicité relative et son statut sportif professionnel, entrant dans le carré des trois entraîneurs ayant associé deux coupes du monde remportées, en tant que joueur et entraîneur. C’est une vedette certaine car ayant été joueur professionnel dans les années 1980, capitaine de l’OM en 1993, puis de l’équipe de France en 1998, avant de devenir notamment entraîneur de la Juventus de Turin dans les années 2000 et de l’équipe de France depuis 2012. Mais qui ne se prend pas au sérieux, ce qui forcément crée de la sympathie. C’est une victoire du sport. Mais certes il y a aussi des sponsors, il y a de l’argent. Le foot est un business, c’est incontestable.
Des sommes d’argent formidables sont en jeu, à tous les niveaux. Certaines places pour la finale de Moscou se vendaient au noir jusqu’à 10 000 euros. Et du jour au lendemain, des intermédiaires internationaux et des trafiquants clandestins se sont réveillés millionnaires. A l’image des chanteurs, des acteurs et actrices, des top-modèles, d’autres sportifs en tous genres, les vedettes du ballon rond représentent des fortunes. Mais tel l’analysait Olivier d’Ormesson, en juillet 1998, « à la différence des magnats des affaires, de la finance ou de l’industrie », ce sont des fortunes acclamées par les masses populaires. « Demain, les lampions éteints, elle repartiront vers les clubs qu’elles font vivre et qui les font vivre. Aussi loin que possible des exigences du fisc et des inquisitions », écrivait-il à l’époque.
Les joueurs singeaient les présidents avec leurs discours et donc effectivement cela fait plaisir aux gens d’entendre cela. On ne sait pas si c’est du 1er ou du second degré. Ils ont une façon de s’exprimer, d’être, cette culture, cette façon d’être. Ils viennent plutôt des banlieues résidentielles de petite classe moyenne comme Kylian Mbappé ou de province, à l’image de Benjamin Pavard, Antoine Griezman ou Olivier Giroud… Ce qui est intéressant au-delà de valeur(s) sur la République, sur le vivre ensemble, la gentillesse, l’humour, l’envie de s’amuser. On les a vu comme des gosses après le coup de sifflet final, glisser sur la pelouse mouillée. Ce qui est naturel, car c’est une bande de copains qui s’amuse et le sourire est insufflé par Deschamps. Mais plus jamais des joueurs qui se font éliminer parce qu’ils ne descendent pas du bus, qui ne répondent pas aux autographes des supporteurs.
C’était un peu le juin 1940 de l’équipe de France, en foot, cette série d’échecs en 2008, 2010 et 2012. Il y a une perte de licenciés, les sponsors commençant à se détourner. Donc quand même il y avait un danger, si l’on peut dire et là il y a eu un travail de réflexion, de pédagogie, de reconquête de l’esprit et du cœur des Français par le comportement. La France se retrouve dans cette équipe, dans ses valeurs, dans son esprit. C’est toute la question de la relation entre le public et une équipe, car la France du football ne démarre pas au quart de tour. On ne sait pas ce que l’on va découvrir, les Français ne s’étant pas déplacés beaucoup à Moscou. C’est un football barbapapa qui s’adaptait à l’adversaire.
A la fin de la 1ère mi-temps face à la Croatie, on mène 2 – 1 alors que l’on a pratiquement pas touché un ballon, ce qui est miraculeux. Puis on se rattrape dans la 2e mi-temps (le « on » employé étant impersonnel, s’identifiant à l’équipe de France), ayant été clairement en-dessous durant la 1ère mi-temps de la finale, mais plus efficace que les Croates avec toute une série d’entrelacs, stratégique, tactique. Car en 2016, lors de la finale de l’euro organisé dans l’hexagone, on a été supérieur techniquement aux Portugais et on a perdu. Mais là, on était peut-être inférieur sur ce plan aux Croates, mais on a gagné et c’est aussi un peu comme ça le football. Il y a toujours cette question du rapport entre des supporteurs et une équipe, étant dans une grande prudence sur le plan du résultat sportif. C’est une victoire progressive, ce qui est très important, d’où ce qui était évoqué précédemment. Et puis il y a le match, les matchs (le succès timoré face au Pérou, suivi du match nul contre le Danemark, puis la victoire contre l’Argentine, l’Uruguay…), et on a des idées, avec une équipe jouant bien, mais montant en puissance de façon très progressive. Donc il y a une mutation devant les téléspectateurs, avec des joueurs qui ne sont pas enfermés sur eux-mêmes.
Et il y a Didier Deschamps qui a travaillé sur cette équipe et sur la manière de créer le groupe. Mbappé est celui qui a le plus impressionné durant cette coupe du monde, en gagnant à 19 ans. La vedette du PSG, ce n’est plus désormais Neymar, mais Mbappé. Et le sélectionneur du PSG devra désormais gérer cette rivalité au sein de l’équipe. Neymar passe pour une diva un peu égoïste, alors que Mbappé coche toutes les cases. Bien que l’attaquant brésilien se soit rattrapé récemment, à l’occasion d’un superbe triplé en ligue des champions, lors d’une large victoire à domicile 6 – 1 (PSG – Etoile rouge de Belgrade). Tout a l’air naturel, chez ce garçon de 19 ans. Le talent, on l’a ou on l’a pas, le père étant sportif professionnel et entraîneur de handball. C’est assez impressionnant, car on a l’impression que Kylian Mbappé a fait du média training pendant 5 ans, en arrivant à 19 ans, avec un côté p’tit gars sympa. C’est très réconfortant, car cela veut dire que le talent, la réussite n’empêche pas la solidarité et l’humilité.
La France était fâchée à mort avec son équipe nationale. Normalement, Didier Deschamps poursuivra jusqu’en 2020 pour justement sécuriser son contrat. Ca, c’est une logique du sport. Il y a effectivement l’ombre planante de Zidane, mais cela se fera dans l’ordre des choses, dans les règles. Jacquet avait quitté sa fonction en 1998, comme Hidalgo en 1984, après la victoire à l’euro avec la bande à Platini, Giresse et Rocheteau, qui était le 1er succès français dans le foot. Jacquet a été aussi très touché par les critiques de la presse, à l’époque. Mais là, Deschamps a signé une prolongation de contrat pour 2020 et lorsque Zidane a démissionné du Real Madrid, il n’était pas question qu’il y ait remise en cause de cela. Qu’en est-il des retombées financières ? Des efforts financiers sont faits pour les petites structures formant les jeunes footballeurs. Ce que touche la FIFA, c’est colossal par les droits télé.
Mais la FIFA ne fait pas de bénéfices, elle redistribue tout, soit 25 millions d’euros pour la Fédération Française de Football. Tout au long de l’année, de l’argent est redistribué aux fédérations des Caraïbes ou africaines par la FIFA. Il y a eu des scandales de corruption aussi, mais il y a de la redistribution. La FFF redistribue. Entre 50 et 60 millions d’euros, sur un budget de 250 millions d’euros, sont redistribués aux footballeurs amateurs. L’argent, ce sont les sponsors, les droits télé. Il ne faut pas croire que ce sont les petits qui paient pour les gros. L’équipe de France de football bénéficie aux clubs amateurs, par l’argent qu’elle ramène, donc elle est bénéficiaire. Cet argent est redistribué aux petits clubs. Vu sous un autre angle, il y a eu entre 0,1 et 0,2 % de croissance de PIB en 1998, sur le plan des retombées économiques. Mais on était en pleine ascension.
Par ailleurs, que faut-il penser de la remise de la légion d’honneur ? Quand bien même, les joueurs de l’équipe de France gagnent de tels trophées, la question peut se poser. Il faudrait réserver la légion d’honneur à ceux qui risquent leur vie pour accomplir des actes héroïques (et arrêter de la donner à des sportifs), les palmes académiques aux enseignants, l’ordre du mérite à ceux qui le mérite, la dernière promotion ayant été limité à 398, mais c’est déjà trop. Il n’y a pas eu trop de grincheux, par ailleurs. En général, c’est l’extrême-gauche, qui considère que c’est l’opium du peuple et l’extrême-droite comme avec la polémique de 1994 de Jean-Marie Le Pen sur les joueurs ne chantant pas la marseillaise, car visiblement ils ne la connaissaient pas. Ce sont des moments de liesse éphémère, mais il faut les goûter, sinon c’est refuser tous les plaisirs car ils sont éphémères. Cela a aussi occulté l’actualité. Il est vrai qu’à partir de la victoire sur la Belgique, on a parlé surtout du football, à l’image de la mort de Johnny Hallyday. C’est le principe des événements d’actualité, qui entraînent des manifestations populaires et qui éclipsent le reste. Mais cela fait partie de notre histoire, de notre roman national et cette équipe de France de foot s’avère prometteuse, car jeune et talentueuse.
J. D.