La Lanterne (politique, sujets de société)

24 mai, 2020

Les enseignements du déconfinement

Classé dans : Economie,Europe,Politique,Sante,sujets de societe — llanterne @ 23:08

Au sortir de ce confinement global des Français (et de près d’1 / 3 de l’humanité), de nombreux enseignements sont à tirer. Quel est le rôle des politiques libérales dans la décision de ce confinement général de l’économie ? Macron a reconnu quelques ratés dans la gestion de cette crise sanitaire, d’ordre structurel selon lui. Sa stratégie est-elle la bonne ? Quelles ont été les erreurs commises ? Quelles seront les conséquences pour l’économie française ? Macron va-t-il réellement changer de paradigme dans sa gestion des politiques publiques hexagonales ? 

Tel qu’il est pratiqué, ce type de confinement généralisé prouverait son inefficacité (relative), selon certains experts. Mais les précédents historiques sont faibles. Outre des mesures locales, c’est inédit en France. Sous Louis XV, pour endiguer la peste de Marseille en 1722 (ayant emporté 1 / 3 de la population de la ville), la cité phocéenne a été mise en quarantaine pendant plusieurs mois. Durant la période contemporaine, face à une épidémie de variole en 1954-55 sévissant dans le Morbihan (la dernière du genre en France), rapportée d’d'Indochine par un appelé, des quarantaines hospitalières ont été mises en place dans le département, jusqu’en avril 1955. Mais c’était circonscrit et local. Par ailleurs, en procédant de la sorte, on joue dans la durée. D’autant plus que le coronivarus ou Covid-19 n’en est peut-être qu’à sa première vague pandémique (la grippe espagnole en ayant connu trois). Il apparaît que ce sont les consignes sanitaires, mais surtout les progrès scientifiques qui sont venus à bout des maladies contagieuses, par le passé. Dans l’histoire, les épidémies et pandémies ont été régulières. Au XXe siècle passé, il y a eu trois pandémies sans aucun confinement décidé : la grippe espagnole (25 – 50 millions, voire 100 millions de morts), la grippe asiatique de 1957 (2 millions de morts) et la grippe de Hong-Kong en 1968 (4 millions de morts). 

Les pandémies ont été régulières (depuis le néolithique), mais aussi les catastrophes dites naturelles ou accidentelles. Les conséquences politiques furent souvent sérieuses (comme peut-être pour le PC chinois, l’UE et les gouvernements en place aujourd’hui). En 430 av. J-C., la peste d’Athènes emporta la moitié de la population et marqua le début du déclin de la cité, selon les historiens. La peste antonine (entre 165 et 190) fit près de 10 millions de morts, diminuant considérablement la population romaine et contribua au déclin de l’Empire romain d’Occident. La grippe espagnole de 1918-19 a fait 2,3 millions de morts en Europe (dont près de 400 000 en France), près de 650 000 aux Etats-Unis. Mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué (18 millions de morts en Inde, préparant très certainement les esprits à l’indépendance). Gorbatchev estime dans ses mémoires que la gestion de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (en 1986) par les autorités soviétiques était l’une des causes de la dislocation de l’URSS, survenue cinq ans plus tard (en 1991). Les conséquences économiques sont toujours sérieuses comme aujourd’hui, surtout par les effets du confinement.

Les politiques ont dédramatisé la situation au début, s’affichant en public, comme Macron le 9 mars, avant de décider le confinement au dernier moment quelques jours plus tard. C’est une épreuve psychique imposée, pas si anodine pour l’économie, ayant été privé de notre liberté individuelle par le gouvernement durant deux mois, surtout par son manque de prévoyance, le confinement étant une mesure de dernier recours. La mauvaise gestion de la crise constituera un précédent, car le confinement moderne est moléculaire. C’est cette méthode que nous devrions nous efforcer d’appliquer en cas de 2e vague. Mais encore faudrait-il pour cela en disposer des moyens matériels et intellectuels. Notre société et notre économie ouverte, ultra libérale et sans frontriériste (véhiculée par l’UE) a laissé se délocaliser les productions (masques, etc). Notre dernier fabricant de masques français, situé dans les Côtes- d’Armor et produisant 200 millions de masques par an, a été racheté par le groupe américain Honeywell qui a délocalisé la production en Tunisie, en septembre 2018. Les solutions palliatives sont chronophages dans leur application. Par ailleurs, des erreurs ont été commises par les pouvoirs publics.

L’Alsace n’a pas été placée en quarantaine, en février, en tant que foyer principal, pour confiner les malades jusqu’à leur guérison. Macron n’a pas voulu fermer les frontières, au début de la pandémie, pour protéger le marché européen. Il a cherché à respecter les protocoles de l’UE, très lourds et lents, avant de passer les appels d’offres de masques. Les victimes de la pandémie (26 000 en France, soit approximativement le nombre de décès annuels imputés aux grippes A, B, C et D) sont avant tout des morts de l’économie et de la société ouverte. L’idée européenne (confédérale) s’avère mortelle et fatale pour les Français depuis 1992. Macron cherche ainsi à faire croire qu’il était en avance. Mais ce qui n’est que de la communication politique, stratégique au coeur de nos décisions publiques depuis longtemps, pointant la faillite intellectuelle de nos élites. A ce titre, cette pandémie est révélatrice du déclin français.

Dans le contexte actuel, la France ne dispose plus de sa souveraineté et ne peut mener aucune politique publique d’envergure. C’est le grand bal des hypocrites dans les médias, les « eurobéats » nous promettant hausse des salaires et relocalisations, alors que l’UE par son mode de fonctionnement ne le permet pas. Dans une autre approche exemplaire, le rapprochement esquissé entre Siemens et Alstom (en vue de la création d’un Airbus européen du ferroviaire) a été retoqué par l’autorité de la concurrence européenne, étant pourtant la seule solution pour peser face au géant américain General Electric et aux concurrents chinois émergents dans le secteur. Aucun patriotisme européen n’est favorisé par l’UE, à l’heure actuelle. Mais personne n’est dupe et personne n’y croit. Il s’avère probable que l’Etat soit provisoirement obligé de monter au capital de certaines grandes entreprises (notamment Air France), pour éviter des faillites en cascade.

La crise du coronavirus et le confinement en vingt dessins

Comme le titrait Marianne, « Macron est covidé de sa substance. Qu’a-t-il encore à nous vendre ? ». Avant tout, nous manquions de moyens depuis le début face à cette grippe à la mortalité et à la viralité relative. Tel l’analysait récemment l’historien Arnaud Teyssier dans Le Figaro, la pratique administrative a été subvertie par une insupportable doxa. Le coronivarus a révélé la désorganisation de l’Etat en France, coexistant paradoxalement avec des dépenses publiques très élevées. Certains y voient l’impuissance de l’Etat, d’autres au contraire, celle de son utilité, en étant arrivé à un point « où ce sont les faits qui gouvernent ». Pour citer Arnaud Teyssier la « pandémie met crûment en évidence la fragilité de notre système de santé publique ». Sa réputation reste entière, mais il connaît depuis des années une crise profonde de moyens. Mais aussi existentielle, le malaise des personnels soignants et le départ de nombreux praticiens en sont les symptômes criants.

Ce confinement a infantilisé les Français durant deux mois, les contraignant à circuler avec une attestation, en vue d’un contrôle de police, sous peine de contravention. Ce virus aurait pu être combattu différemment à l’image des politiques de confinement partiel ou moléculaire adoptés par différents pays (la Finlande, l’Allemagne dans certains länders, la Suède ou la Corée du sud), bien qu’il n’y ait cependant pas d’exemples parfaits. En comparaison le nombre de victimes du Covid-19 par habitant est identique à celui de la France en Suède (sans confinement), mais il en ne va pas de même du nombre de lits d’hôpitaux et du personnel hospitalier par habitant (largement supérieur au nôtre) et cela sans les impacts économiques. Il est difficile de prévoir les aléas de toute crise sanitaire, personne n’ayant pu prédire les développements de cette pandémie à ses débuts (fin 2019), on peut naturellement l’accorder. Mais gouverner, c’est aussi prévoir. Face au développement pandémique et au manque de moyens pour y faire face, les autorités publiques n’ont pas eu d’autres choix que de mettre en place le confinement, mais parce qu’elles y étaient contraintes. 

Le président a également voulu protéger ses équipes de conflits d’intérêts nuisant à la macronie actuellement. La tenue du 1er tour des municipales (à forte mobilisation des personnes âgées) était un choix politique, d’autres erreurs ayant été commises (dont la non-mobilisation des 10 000 lits de cliniques privées, la mobilisation des ARS au détriment des médecins,  la non-expérimentation de la chloroquine, parmi d’autres traitements…). Le confinement (décidé à la mi mars) est aussi politique, visant à effectuer l’union sacrée autour de la peur et à éviter la saturation des urgences. Car depuis les années 1980, 13 % des lits ont été supprimés (soit moins de places aujourd’hui qu’en 1995, alors que nous sommes 8 millions d’habitants en plus), tel le rapporte Fanny Vincent (100 000 lits supprimés en 20 ans) et cela alors que la France a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé en Europe. La loi oblige chaque département à avoir trois hôpitaux, mais la réforme est mal appliquée (par des technocrates, au lieu de consulter et d’y associer des spécialistes). Ainsi dans l’Orne, on compte sept petits hôpitaux sans service d’urgence. 

Ces réformes néo-libérales ont contribué à un sous-financement de l’hôpital au regard de ses missions et des réponses nécessaires aux besoins de santé de la population. Les conditions de travail des personnels ont été dramatiquement diminué. Nous vivons « l’un des plus importants mouvement social de l’histoire de l’hôpital public », ralenti par les effets de la crise sanitaire et du confinement. Les problèmes conjoncturels n’ont continué à être lu qu’en termes de manque d’organisation. Les patients le payent aujourd’hui au travers cette pandémie, dans la désorganisation des urgences, les soignants étant appelés à effectuer toujours plus d’heures supplémentaires, alors qu’ils sont déjà à bout. Le système manque de moyens et est de plus en plus inégalitaire et ce n’est que le début, d’un point de vue économique, territorial ou social. C’est pour cette raison, que les responsables du secteur sont restés incrédules devant les contradictions du discours de Macron et le résultat pratique de ses politiques.

Face à la « crise sanitaire la plus grave que la France ait connue depuis un siècle », Emmanuel Macron a fait l’éloge de l’Etat providence, le 12 mars, disant sans ciller « la santé gratuite, quels que soient les revenus, la carrière ou la profession, notre Etat providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais notre précieux atout (…) lorsque notre destin est attaqué ». Ce discours ne correspond en rien à sa pratique de la gouvernabilité, de nombreux hôpitaux continuant d’être fermés et les ressources pour la recherche scientifique d’être réduites. Il est difficile de croire à un vrai changement de paradigme pour l’avenir. Bien qu’il déclare que cette pandémie révèle que des biens et services doivent être placés en dehors des lois du marché et que la santé n’a pas de prix. Car cela impliquerait une profonde rupture idéologique avec les réformes néolibérales menées jusqu’alors.

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Macron n’a fait montre d’aucune volonté d’extraire la santé des lois du marché. Mais ce qui est intéressant, c’est d’observer comment ces moments de crise semblent révéler pour les gouvernements l’importance de disposer de services publics forts et efficaces, financés. Depuis plus d’un an, médecins, infirmières, chercheurs se mobilisent pour protester contre la politique néolibérale du gouvernement Macron et dénoncent la dégradation des hôpitaux publics ! Il y a quelques mois, les chefs de services hospitaliers ont démissionné pour protester contre les réformes néo libérales du gouvernement Macron, contre le manque de moyens. Les infirmières françaises sont moins bien payées que les Allemandes (3 533 € contre 4 491 € en Allemagne, soit un salaire inférieur de 21 % en terme de parité de pouvoir d’achat). Bien qu’ayant vanté les vertus de l’Etat – providence dans son récent discours, on voit mal le chef de l’Etat mener une rupture idéologique avec les réformes menées jusqu’alors. 

Sa seule marge de manoeuvre est de changer d’équipe gouvernementale, soit toujours de la communication, utilisant Edouard Philippe comme un fusible (à l’image de tous les chefs de gouvernement de la Ve République), sur fond d’impopularité record (65 % d’opinions défavorables), après les affaires Benalla et Griveaux. Les dirigeants européens, Macron en tête, n’ont plus la mentalité étatique, mais ce type de problème se résolvant au niveau étatique. Les élites politiques européistes ne gouvernent plus, car elles ont cédé l’essentiel de leurs prérogatives à l’UE, certains Etats s’en tirant légèrement mieux (Allemagne, Finlande…), car ayant moins coupé cependant dans leurs dépenses publiques de santé et moins délocalisé leurs productions de masques et infrastructures pharmaceutico-industrielles. Il s’agit de contrôler et contrer un virus, mais le fonctionnement de l’UE ne facilite pas toujours les choses, car ultra libérale et sans frontiériste. Ce qui a conduit aux délocalisations, les pays européens n’ayant parfois plus les outils industriels pour réagir (gels, masques), l’exemple le plus flagrant étant celui de la France.

Un virus n’a pas de frontières, mais il est véhiculé par un porteur qui s’arrête à la frontière avec un passeport. L’espace Schengen doit être supprimé, non pas pour rendre les frontières entièrement étanches et hermétiquement closes, mais pour rétablir un contrôle mesuré, leur rôle de filtrage étant prouvé. Le rôle de l’aviation est à souligner dans la propagation du virus. Après la crise bancaire de 2008, la crise migratoire de 2015, la crise sanitaire actuelle est un clou supplémentaire planté dans le cercueil de l’UE. Un ennemi redoutable nous désarçonne n’ayant plus les instruments intellectuels pour y faire face, alors que nous avons des précédents en matière de gestion des épidémies. En tant qu’idéologie, le néolibéralisme considère la concurrence comme la principale caractéristique des relations humaines. Cette idéologie supprime la notion de devoir collectif et de valeurs communes, en pariant sur l’individualisme, affirmant la suprématie de l’économie et du marché sur les valeurs humaines, valorisant l’intérêt égoïste prévalant face à la solidarité.

L’angoisse du futur se nourrit aujourd’hui des vrais problèmes ressentis, le chômage et la précarité du travail en augmentation, la baisse du pouvoir d’achat, l’effondrement de l’ascension sociale, la retraite qui va vers la capitalisation, le manque de logements pour les couches sociales les plus populaires et tous les autres problèmes causés par la mondialisation inclusive. Il faut le retour à l’emploi et à l’indépendance nationale. Le système économique néolibéral et son idéologie ne peuvent plus être viables, car présentant un grand risque de déstabilisation de notre société. Cette crise démontre la vulnérabilité d’un système où 20 % de la production industrielle dépend de la Chine, tel l’analyse Daniel Cohen, chef du département économique de Normal Sup. Libre et affranchi de tout patriotisme économique, notre système engendre la destruction des industries locales, chômage de masse causé par la déindustrialisation, allant jusqu’à omettre le passé politique de la Chine communiste, pourtant exemple de capitalisme d’Etat pragmatique et assumé.

Le patriotisme économique consiste à entreprendre en suivant les principes de souveraineté, de sécurité et d’indépendance nationale, redécouverts aujourd’hui à l’occasion de cette crise sanitaire mondiale. Ce sont des principes essentiels à une politique économique pragmatique, fondée sur le réel, « et également soucieuse d’apporter un écosystème juridique, financier et fiscal favorable à la création des entreprises et à leur développement », pour citer Jean -François Ferrando, président de la CNTPE (Confédération Nationale des Très Petites Entreprises), dans un récent entretien dans Figarovox. C’est ce que l’on appelle l’intelligence économique. Elle concerne autant le marché intérieur qu’international. Cette démarche patriotique et intelligente est promue par Macron, mais les profils chargés de la mettre en oeuvre sont inquiétants. La France est pourtant le seul pays en Europe à disposer d’une école de guerre économique. Il nous faut un système économique libéral s’arc – boutant sur une forme d’indépendance nationale avec une pointe de keynésianisme.

Dans une autre approche, l’essayiste Maxime Tandonnet déplore la culpabilisation dont de nombreux Français font l’objet dans le contexte de la pandémie de coronivarus, les signaux contradictoires reçus constituant le coeur de la question. Tel ce – dernier l’analysait dans un récent article du Figaro, « la crise qui nous frappe est aussi le fruit des défaillances de la France d’en haut ». Le fossé séparant les élites médiatiques et dirigeantes de la majorité silencieuse est confirmé par cette crise sanitaire, le discours dominant ne lésinant « pas sur la culpabilisation de la population ». La mode est à fustiger les Français qui auraient manqué de civisme, au début de la pandémie. Alors qu’en dépit d’effets ponctuels de panique (prises d’assaut des gares pour rejoindre la province et rayons féculents des magasins dévalisés), ces comportements caricaturaux ne sauraient prévaloir de l’état d’esprit général d’une nation. Les Français (la « vile multitude » comme disait Thiers) ont été constamment stigmatisés pour leur supposée indiscipline, notamment par les élites médiatiques, alors que le confinement a été respecté par 95 % d’entre eux, des mouvements de contestation ayant eu lieu à Berlin et en Chine, ce qui n’a pas été vu en France à titre de comparaison.

Les médias ont même paradoxalement été jusqu’à fustiger les 45 % de Français s’étant déplacés pour aller voter. Le pays devient le bouc émissaire des défaillances, à savoir la France périphérique des gilets jaunes. « L’étrange défaite » de Marc Bloch n’a pas pris une ride. Selon l’auteur, la terrible débâcle de 1940 est le « produit intellectuel des élites dirigeantes, de l’affaiblissement de la culture générale, historique et littéraire ». Comparaison n’est pas raison, mais la crise sanitaire actuelle a en point commun une faillite intellectuelle. Sur le plan économique, en dépit de la culpabilisation sous – jacente chez certains entrepreneurs face aux aides de l’Etat français (prêts garantis, remboursement du chômage partiel, report de charges sociales et fiscales…), tel l’analyse l’IFRAP (très libéral), aux analyses parfois intéressantes, ce n’est qu’un juste retour d’un Etat pressurant leurs marges « par l’impôt et les charges depuis des années ». Alors que les mesures sanitaires du déconfinement sont complexes à mettre en place pour les TPE et PME, avec pour seule protection des fiches de sécurité, la responsabilité pénale du dirigeant étant engagée pour les entreprises qui ne sauront ou ne pourront pas les mettre en application.

Pour l’instant, seuls les indépendants peuvent bénéficier d’une aumône de 1 500 euros, lorsqu’ils sont éligibles. Toute relance doit s’accompagner « d’un plan massif de baisse des impôts de production et des charges des entreprises », en particulier des PME, TPE et indépendants. Le plan de reconstruction annoncé ne doit pas être un énième plan de dépenses. Il faut aussi déverrouiller le code du travail et repousser l’âge de la retraite à 65 ans, parmi d’autres réformes. Il faudrait diminuer le niveau de prélèvements obligatoires et réduire les dépenses et le déficit public, mais les économies n’étant pas à faire dans les secteurs régaliens (santé, armée, police, justice…). Sans quoi, la « cocotte – minute » des colères françaises risque d’exploser. C’est dans la réforme de l’Etat que Macron, présenté tel un président clivant, agaçant, voire arrogant, doit réussir. Depuis peu lancé en politique, ce jeune banquier d’affaires a réussi un coup de poker électoral, face au vide laissé par le hollandisme, le sarkozysme et le chiraquisme dans la classe politique française (après 14 ans de mitterrandisme). Mais qu’en est – il de ses qualités réelles, connaissant son inexpérience ? Certes, il hérite d’une situation mais la politique qu’il mène, son européisme ne le prédestinent pas à changer de paradigme.

Il ne faudra d’ailleurs pas augmenter les impôts, mais les baisser (avec 160 milliards d’euros de recettes fiscales en plus, en 2018), en parallèle de ce plan de relance. Par le poids et le coût de la CSG, les employeurs français sont déjà assommés de charges. L’ISF ne doit pas être rétabli, mais remplacé par une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, s’accompagnant d’une taxation des patrimoines et des revenus des Français établis à l’étranger, sur l’exemple américain. Une légère augmentation de la TVA est envisageable, associée en parallèle à un plan de réduction des déficits, en touchant aux paniers percés de la République. Près de 100 milliards d’euros pourraient être économisés, tous les ans, sans parler de l’exil fiscal, si la France était plus attentive à ses dépenses, tel l’a démontré Jacques Marseille, en coupant dans les dépenses des collectivités locales, de manière indolore et sans couper dans les aides sociales, mais en touchant à la gabegie de certaines dépenses publiques (suppression des doublons au niveau local, maîtrise des dépenses de communication des collectivités locales, suppression du Comité Economique et Social et des placards dorés ou fusion avec le Sénat, regroupement de communes, diminution du nombre d’élus). 

Le hastag #OnApplaudit témoigne de la solidarité dans les villes envers les personnels soignants. Mais après cette crise, tel l’a déclaré Thomas Porcher « il faudra que les dirigeants rendent des comptes aux Français et expliquent les raisons » de la casse de notre système hospitalier. Les mesures de déconfinement sont complexes à mettre en place pour les PME et TPE, dont les cafés – restaurants (dont près de 50 % craignent une faillite dans les 3 mois). Cette crise sanitaire (digne du scandale du sang contaminé) ne restera pas sans conséquences pour le pouvoir macronien, l’organisation de notre système de santé et la dette publique. Sur le plan social, le mouvement des gilets jaunes risque de reprendre dans une rentrée qui s’annonce explosive, voire révolutionnaire, tel l’histoire l’a parfois démontré, au lendemain des catastrophes et pandémies…

 

                                                                                                                                                                            J. D.

11 avril, 2020

Un confinement sans précédent historique

Classé dans : Economie,Europe,International,Politique,Sante,sujets de societe — llanterne @ 3:13

C’est une mesure inédite en France (inefficace et inappropriée selon certains). Prolongeable initialement jusqu’au 15 avril, il a été annoncé, mercredi 9 avril, la reconduite du confinement par le gouvernement au moins jusqu’à la fin avril – début mai. Ces mesures sont globalement respectées en France, par les 67 millions de Français. Près d’un tiers de l’humanité serait touché par ces mesures de confinement, à l’heure actuelle. Certains pays annoncent des scénarios de sortie, ce qui n’est pas encore envisagé en France. Alors que l’épidémie de coronivarus ou Covid-19 a tué plus de 53 000 personnes en Europe et plus de 102 026 dans le monde, pour l’instant, le pic des contaminations n’est toujours pas atteint, semblerait-t-il. Les précédents historiques (notamment celui de la grippe espagnole, de la variole) et les comparatifs sont intéressants à établir. 

Le confinement généralisé s’avère-t-il réellement efficace et utile pour enrayer une épidémie ? Peut-on comparer le coronivarus et la grippe espagnole de 1918 – 19 ? Beaucoup accusent la mondialisation d’être responsable de la diffusion si rapide du virus dans un monde, entre guillemets « sans frontières ». En combien de temps le virus s’est-il répandu, à l’époque de la grippe espagnole ? Comment ont réagi les gouvernements à l’époque ? Quelles ont été les conséquences sociales ? Quelles ont été les mesures prises ? Ont – elles été effiaces ? Peut-on espérer les mêmes prodigieuses avancées de la science, aujourd’hui ? En quoi ce confinement impacte-t-il notre moral et aussi l’économie française ? Le roman « La Peste » d’Albert Camus nous apprend sur les attitudes collectives face à une épidémie, toutes proportions gardées. Ce sont là autant de questionnements soulevés autour de la gestion de cette crise sanitaire.

Le coronavirus ou Covid – 19 (acronyme anglais de coronivarus disease) est une maladie infectieuse émergente de type zoonose virale, causée par une souche de coronivarus SARS-CoV-2. Apparue à Wuhan en Chine centrale en novembre 2019 avec des cas inhabituels de pneumophatie. Qualifié de pandémie dès mars 2020 par l’OMS, il se propage dans le monde entier (soit sur les cinq continents). La maladie a justifié de sévères mesures chinoises de confinement en janvier 2020. De nombreux pays prennent à leur tour des mesures similaires, provoquant des fermetures de frontières, un brusque ralentissement de l’économie mondiale et un krach boursier le 12 mars 2020.

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C’est en Chine, en Iran, en Europe de l’ouest (en Italie, en Espagne, en moindre mesure en France) et aux Etats-Unis, qu’il a fait le plus de victimes, pour l’instant. Se développant sous une forme bénigne dans 85 % des cas, à la contagiosité très forte (près de 1 700 000 cas confirmés, dans le monde officiellement), le Covid-19 reste sans comparaison avec le H1N1 ou grippe espagnole (ayant fait des ravages en 1918 – 19 dans le monde entier), sur le plan de la mortalité. Mais néanmoins, elle reste non négligeable chez les personnes âgées et vulnérables sur le plan respiratoire. Près de 20 000 malades (souvent âgés) décèdent de la grippe classique (A, B, C ou D) ou de maladies respiratoires diverses et variées, chaque année, en France (comptabilisés parmi les 610 000 décès annuels).

La mise en place de ce confinement général vise à éviter l’engorgement des urgences. Au fur et à mesure que l’épidémie de Covid-19 progressait en France, on a assisté à une intensification progressive des mesures prises par le gouvernement, face à une crise sanitaire, semble-t-il relativement mal gérée. La préfecture de police de Paris vient par exemple d’interdire désormais depuis le mardi 7 avril, toute pratique d’activité physique à l’extérieur entre 10 h et 19 h, même avec une attestation obligatoire de sortie.

Tel qu’il est pratiqué, ce type de confinement prouverait son inefficacité, selon certains experts, mais cela dit les précédents historiques sont faibles. A l’exception de quarantaines localisées comme la dernière fois, dans le cas de la variole en 1954-55 dans le Morbihan, c’est une première en France. Par ailleurs, en procédant de la sorte, on joue dans la durée, sachant d’autant plus que le coronivarus ou Covid-19 n’en est peut-être qu’à sa première vague pandémique, la grippe espagnole en ayant connu trois. Mais quels sont les précédents dans l’histoire, sur le plan de la gestion d’une crise sanitaire ?

Une épidémie (du grec epi = au-dessus et demos = peuple) est l’apparition et la propagation d’une maladie infectieuse contagieuse (cutanée, respiratoire…) et potentiellement mortelle. Elle frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, telle l’épidémie de grippe. Si elle se répand sur une large zone géographique, on parle de pandémie (du grec pan = tous). L’histoire nous a ainsi laissé quelques traces de ces pandémies ayant terrorisé les sociétés humaines (et cela depuis la plus haute antiquité), avec des répercussions économiques, politiques et sociales. Outre l’application de mesures ponctuelles de confinement, il apparaît que ce sont toutefois les consignes sanitaires et surtout les progrès scientifiques qui sont venus à bout des maladies contagieuses.

Dans l’histoire, les pandémies ont été régulières, quelque soit leur mode de transmission (respiratoire, cutané, sexuel…). Elles suivent l’histoire de l’humanité depuis le néolithique. Au rang des maladies célèbres, la lèpre est souvent citée (déjà dans la Bible), mais aussi la syphilis (MST), autrement appelée vérole (Beaudelaire, Maupassant, Daudet…), la peste découverte par Pasteur en 1894, la tuberculose qui fit des ravages en Europe au XIXe siècle. Les routes marchandes ont contribué à la diffusion des épidémies.

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Endémique et chronique de l’Antiquité à son éradication par le vaccin en 1977, la variole (circonscrite initialement à l’Europe) fut diffusée par les navigateurs européens dans le Nouveau Monde, au XVIe siècle. A l’image d’autres maladies contagieuses disparues comme la suette miliaire ou encore la coqueluche (ou le tac ou le horion). La diphtérie est enrayée par la vaccination en 1924.

Le choléra est une autre infection (de type diarrhéique aigüe). Sans vaccin connu, il reste une menace selon l’OMS pour la santé publique mondiale. La grippe classique (A, B, C et D), la plupart du temps bénigne, peut évoluer vers plusieurs types de complications mortelles pour les plus fragiles. On peut citer le virus Ebola (en Afrique), le Sida (MST officiellement apparue en 1981, officieusement dans les années 1960), l’hépatite C, le Sras de la famille des coronivarus.

Le chinkungunya et la fièvre jaune sont deux maladies tropicales infectieuses transmises par les moustiques, comme le paludisme ou la malaria. La fièvre jaune toucha l’Italie méridionale et fit des ravages dans les Etats du sud des Etats-Unis. Elle remonta même jusqu’à New-York et Philadelphie à la fin du XVIIIe siècle (incitant Georges Washington à quitter ce qui était alors la capitale des Etats-Unis). Dès la haute antiquité, jusqu’à l’époque moderne et contemporaine, les quarantaines, confinements et cordons sanitaires ont été mis en application, notamment en Europe, pour endiguer les épidémies et pandémies, mais toujours à titre local et jamais à cette échelle.

Lutte contre le paludisme: un concours de créations pour la ...

Dans l’histoire contemporaine, il y a eu trois pandémies au XXe siècle : la grippe espagnole (25 – 50 millions, voire 100 millions de morts selon certains analystes), la grippe asiatique de 1957 (2 millions de morts) et la grippe de Hong-Kong en 1968 (4 millions de morts). Les deux dernières ont la particularité d’avoir été circonscrites à l’Asie, d’où est parti le coronivarus. Les conséquences politiques furent souvent capitales dans l’histoire, comme elles pourraient l’être notamment pour le PC chinois (dans la minimisation des statistiques officielles) et l’Union européenne (par absence de solidarité suffisante entre Etats européens, dans la gestion de la crise sanitaire), par exemple.

Dans Athènes assiégée par Sparte en 430 av. J-C., une subite épidémie de peste décima un tiers de la population de la ville (soit 200 000 habitants). C’est la première pandémie documentée de l’histoire, probablement en réalité une fièvre typhoïde. Elle marqua le début du déclin d’Athènes et fut décrite par l’historien Thucydide, lui-même touché par la maladie, ainsi que par l’homme d’Etat athénien Périclès qui en est mort. La peste antonine frappa l’Empire romain à la fin de la dynastie du même nom (durant les règnes de Marc Aurèle et Commode entre 165 et 190). C’est sans doute l’épidémie la mieux documentée de l’époque antique, certains scientifiques pensant toutefois, qu’il s’agissait plutôt de la variole. Certains historiens considèrent qu’elle marque le début du déclin de l’empire romain d’occident.

La dynastie antonine – les Antonins – lui a donné son surnom, l’Histoire Auguste nous l’ayant décrit. Aucune mesure de quarantaine ne fut prise, semble-t-il, car jugée inefficace. C’est pour se protéger de la peste noire qui fit des ravages au milieu du XIVe siècle en Europe et en Asie (ramenée peut-être de Chine par un navire vénitien), que l’on prit les premières mesures connues et documentées de confinement, à titre local. Elle fit des ravages, notamment au XIVe siècle (7 millions de morts en France sur 17 millions d’habitants, 75 millions de morts en Europe soit de 30 à 40 % de la population européenne de 1347 à 52 et de 30 à 40 % de la population chinoise). Les premières mesures documentées d’isolement des navires provenant de zones infestées apparaissent à Dubrovnik (Croatie) en 1377, puis à Venise (Italie) à partir de 1423. Mais il y eut aussi d’autres épidémies de peste (Barcelone en 1590, Milan en 1630, Marseille en 1720 et la peste des chiffonniers à Paris en 1820). « La méthode ressemblerait à ce qui a été fait pour lutter contre l’épidémie de peste, notamment la dernière à Marseille en 1720″, mais alors localement.

Cette épidémie constitue un précédent historique de confinement, l’un des seuls dans l’histoire de France, note l’historien Jean-Yves Le Naour auprès du Figaro. Elle fut propagée à partir d’un navire en provenance du Levant (probablement de Syrie), dans le port de Marseille, la maladie s’étant rapidement étendue dans la cité phocéenne (entraînant entre 30 000 et 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants), avant de se propager à toute la Provence. Sur le plan concret, « les foyers de peste étaient isolés du reste de la population ». Ainsi, « on laissait mourir les malades pour protéger les autres ». C’était ainsi le seul moyen connu et mis en pratique, à l’époque, pour lutter contre la propagation d’une maladie virale de ce type. Cependant, à la différence d’aujourd’hui, il s’agit là alors d’une mesure très localisée.

A l’époque, les déplacement étaient très restreints, surtout le fait de camelots, marchands ambulants et employés de services publics. Des « murs de la peste » ont été mis en place dans le Vaucluse en 1721 sur 27 kilomètres pour protéger la région. Ils sont gardés par des soldats, des gendarmes qui avaient ordre de tirer sur tous ceux qui tentaient de sortir du périmètre. Il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour le royaume. C’est le règne de Louis XV, le bien puis le mal aimé. Mise en quarantaine, la ville de Marseille a vu la peste disparaître petit à petit, à partir de 1722. On peut citer la technique du « cordon sanitaire », le terme naissant en France au XIXe siècle, lorsqu’en 1821, Paris envoie 30 000 soldats et gendarmes pour fermer la frontière avec l’Espagne, dans les Pyrénées, afin d’empêcher la diffusion d’une épidémie de fièvre jaune.

n° 53 | Question sociale | Fabienne Chevallier | Arts & Sociétés

La grande vague de choléra ayant touché le continent dans les années 1830 sert de toile de fond au roman « Le Hussard sur le toit » de Giono dans une Provence ravagée par la mort et la désolation. Le premier cas fut attesté en France, le 26 mars 1832. Elle entraîne des mouvements d’hystérie collective. A Paris, la foule en délire massacre même quelques personnes accusées d’avoir empoisonné l’eau des puits. Elle fit environ 100 000 victimes, dans le pays, dont 18 402 à Paris. Le président du conseil Casimir Périer en est même mort, le 16 mai 1832. L’épidémie a remonté la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, puis Paris avant de s’éteindre d’elle-même en septembre – octobre 1832. Mais aucune mesure de ce type (quarantaine, confinement) n’a été prise. Selon l’historien Jean-Yves Le Naour, jamais une mesure de confinement d’une telle ampleur n’a été prise dans notre pays.

Même lors de l’effroyable épidémie de grippe espagnole, ayant fait entre 20 et 50 millions de morts entre 1918 et 1919, occulté largement par la 1ère guerre mondiale de 1914 – 18, le pays ne s’est pas mis en quarantaine. « La France avait un fléau tout aussi mortel à gérer, la guerre ». A Vannes, dans le Morbihan (en Bretagne), une épidémie de variole a marqué les mémoires, entre décembre 1954 et mai 1955. C’est la dernière recensée en France, ayant causé le décès de 16 personnes pour 74 cas, vraisemblablement causée par un appelé rapatrié d’Indochine, en 1952. Circonscrite à la région vannetaise, au début, elle entraîna le 1er janvier 1955 une mise en quarantaine du service pédiatrie et des patients à l’hôpital Chubert de Vannes. D’autres cas se déclarent en France dont un semblable à l’hôpital Michel-Lévy de Marseille, où sont recensés 45 cas dont un décès. Une campagne de vaccinations collectives de 250 000 habitants de la circonscription vannetaise, à partir du 6 janvier, 570 000 vaccinations à Marseille, 600 000 Parisiens souhaitant se faire vacciner et le ministère de la santé souhaitant atteindre les 11 millions de Français vaccinés.

A partir du mois de février, aucun nouveau cas n’est signalé et la quarantaine de l’hôpital Chubert de Vannes est levée en mars 1955. La dernière épidémie de variole en France se termine le 11 mai 1955. Pour la journaliste scientifique Laura Spinney, les mesures d’urgence adoptées en vue d’enrayer la propagation de l’épidémie de grippe espagnole en 1918 – 19 sont relativement similaires à celles décidées par les pouvoirs publics à partir de mars 2020, en France, face au coronivarus. D’ailleurs, nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de cette pandémie historique. Emmanuel Macron a ainsi déclaré, que cette crise sanitaire était la plus grave depuis un siècle (faisant implicitement référence à la grippe espagnole de 1918 – 19).

Dangereuses manipulations: Le virus de la grippe de 1918 a été ...

Il apparaît cependant difficile d’établir une comparaison entre une épidémie en cours et une épidémie révolue. Sachant que les statistiques relatives à la grippe espagnole restent très contestées, avec une fourchette très large, car il était très difficile de comptabiliser à l’époque, tel l’analyse Laura Spinney. Les pertes du conflit et des maladies pulmonaires liées à l’effet de l’utilisation des gaz viennent s’y ajouter. Selon les estimations, lors de l’épidémie de 1918 – 19, il y a eu entre 25 et 50 millions de morts, le taux de létalité des cas étant estimé à hauteur de 2,5 % !, explique-t-elle. La grippe espagnole était 25 fois plus dangereuse qu’une grippe classique, est-il estimé et établi. En ce qui concerne le coronivarus, sans certitude actuelle, le taux de létalité se situerait autour de l’ordre de 1 %.

Par contre, il s’agit aussi d’un nouveau pathogène au taux d’attaque très élevé. Les différences restent nombreuses, la grippe espagnole ayant la spécificité de toucher plus sérieusement des malades entre 20 et 40 ans, ce qui l’a rendu si désastreuse. Le coronivarus touche plutôt les personnes âgées de plus de 60 ans (la moyenne d’âge du patient en état critique étant de 80 ans), mais avec des tendances évolutives et en manquant du recul nécessaire. Sur le plan de sa diffusion, on sait que la grippe espagnole s’est déployée en trois vagues principales. La première a été modérée et ressemblait à une grippe saisonnière, de mars à juillet 1918. La deuxième a été plus virulente de septembre à mi – décembre 1918, où il y a eu la plupart des décès. Elle fut suivie d’une troisième nettement moins virulente, de mi – janvier à début avril 1919 en Europe de l’ouest notamment, en Asie jusqu’en juillet 1921.

Rétro OURS : La presse socialiste et la... - Office universitaire ...

La plupart des morts ont eu lieu en trois mois. Une forme de mondialisation était déjà existante à l’époque (comme depuis la plus haute antiquité), même si elle était beaucoup plus lente. La guerre a été un des facteurs déterminants, les scènes de liesse de l’Armistice, le 11 novembre 1918 accélérant la propagation et la diffusion du virus, au sein de la population. Les pénuries sont continues et la malnutrition généralisée dans les pays belligérants (particulièrement en France, en Belgique et en Allemagne), l’infection atteignant des populations malnutries, fatiguées, etc. Ainsi, les systèmes immunitaires étaient fragilisés par les privations subies durant quatre ans.

14-19 [L'actualité de l'époque] – La grippe espagnole | Compagnie ...

La population ignorait à peu près ce qui l’attendait. En septembre 1918, la mortalité du virus devient supérieur à la normale (les malades décédant en quelques heures d’une fièvre et d’une pneumonie foudroyante). A partir de fin 1918, cela a été effrayant. Certains scientifiques estiment que les conditions sanitaires inhérentes au conflit ont contribué puissamment à la virulence du virus dans sa diffusion. En temps normal, une nouvelle souche de grippe voit son acerbité fortement modérée avec le temps, par adaptation rapide du système immunitaire du malade. La souche n’a de surcroît pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge.

C’est ainsi que les grippes saisonnières connues commencent par des grippes pandémiques, se calmant avec le temps. Mais elles emportent juste les personnes très âgées ou très affaiblies, aux systèmes immunitaires déficients. Tout cela a contribué à l’exceptionnelle fougue de ce virus et à son prolongement dans la contagion, tel le rapporte un spécialiste.

Coronavirus, Sras, pestes, grippe espagnole... la perpétuelle peur ...

Le virus H1N1 mute rapidement. Il apparaît le 4 mars 1918 dans un camps militaire américain de Funston au Kansas. La maladie s’y étend, contaminant les Sammies, qui le répandent en débarquant en Europe (le premier cas apparaît en France dans un camps militaire à Rouen). Les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne pas nuire au moral des populations, cachant son nombre de victimes (civiles ou militaires, car secret d’Etat). L’Espagne étant neutre pendant le conflit, il n’y avait pas de censure et la presse espagnole en a parlé la première, d’où son surnom de « grippe espagnole ».

Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant à observer, c’est qu’ils ont alors mis en place exactement les mêmes recommandations qu’aujourd’hui (distanciation sociale, quarantaine, isolation, masques, lavage de main…), mais sans confinement généralisé. Seuls ont été interdits après le 11 novembre, les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Nos réactions face à une pathologie inconnue sont identiques à celles de nos aïeux. Il est rapporté également par un journaliste, les débats dans un grand journal parisien de l’époque sur l’utilité de la désinfection des espaces publics parisiens, inefficace selon un expert de l’Institut Pasteur. La grippe espagnole est la cause de près de 400 000 décès en France, la plupart entre septembre et mi – décembre 1918.

Ciné-Fȇte - La grippe espagnoleIl y a 100 ans, la grippe « espagnole » s'abattait sur le monde ...

Elle a emporté notamment le poète Guillaume Apollinaire, le journaliste et député Pascal Ceccaldi, la dramaturge Marie Lenéru, le pionnier de l’aéronautique Léon Morane ou encore l’écrivain et metteur en scène Edmond Rostand. Dans les victimes étrangères célèbres, on peut aussi citer Rodrigues Alves (président du Brésil), Louis Botha (premier ministre de l’Union sud-africaine), John H. Collins (acteur, réalisateur et scénariste américain), François-Charles de Habsbourg-Lorraine (archiduc d’Autriche). Mais on peut mentionner encore Franz Kafka (écrivain tchèque) et Max Weber (journaliste, économiste et sociologue allemand). Au temps de la grippe espagnole, il y a des effets de peur et de panique ponctuels, notamment à Rio de Janeiro, comme aujourd’hui, avec la prise d’assaut des rayons féculents des enseignes alimentaires.

Globalement, dans l’ensemble des pays belligérants, la population était épuisée et résignée après quatre ans d’un conflit meurtrier, relativisant les effets du fléau, voire y voyant « la confirmation mystique d’une apocalypse ». Les théories du complot étaient déjà présentes, soit les « fake news » de l’époque. Certains affirmaient que la grippe H1N1 était due aux miasmes s’élevant des champs de bataille de la moitié nord-est de la France. Et aux Etats-Unis, que le virus était une arme bactériologique que les Allemands avaient déposés sur les plages américaines. Les conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables, d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre. Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées pendant plusieurs années, sinon des décennies.

Tel cela pourrait être le cas, aujourd’hui, selon certains économistes, dans certains pays en voie de développement atteints par le coronivarus. Surtout par les effets économiques du confinement, si l’épidémie était amenée à durer. L’épidémie de grippe espagnole (virus H1N1) a eu parfois des conséquences inattendues. Nous avons une mémoire très occidentale de cette grippe, mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué (18 millions de morts rien qu’en Inde, où elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance et de 4 à 9,5 millions de morts en Chine, selon les estimations). Elle a fait 2,3 millions de morts en Europe occidentale, entre 500 000 et 675 000 morts aux Etats-Unis. Elle disparaît finalement d’elle-même, après avoir fait le tour de la planète.

La grippe espagnole a eu également ce qu’on appelle un « effet moisson », selon certains scientifiques. Nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de la pandémie de 1918 – 19. On s’est rendu compte de la nécessité de la mise en place d’une médecine socialisée, afin d’affronter les épidémies ne pouvant être traitées individuellement. Ce qui a stimulé les sciences embryonnaires (après les travaux antérieurs de Pasteur), telles la virologie et l’épidémiologie. Cette pandémie de coronivarus ou Covid-19 aura des répercussions en matière de gestion de la crise sanitaire et de recherche virologique. La grippe a espagnole a aussi contribué à la naissance des premières agences globales de santé (l’OMS) et des outils de surveillance. Aujourd’hui, cette pandémie nous interroge sur les financements de nos systèmes de santé confrontés à un relatif vieillissement de la population.

La discrimination envers les seniors est mauvaise pour leur santé ...

Dans une autre approche philosophique, ce qui est intéressant dans la solitude du confinement, c’est le destin collectif résultant d’une somme de destins individuels dans ce type de crise. En témoigne le rebond des ventes du roman La Peste d’Albert Camus, chef-d’oeuvre et premier grand succès littéraire de l’écrivain (prix Nobel 1957), couplé au soixantième anniversaire de sa mort. La ressemblance est prophétique, y étant décrit la ville d’Oran, en Algérie alors française, dans les années 1940, où s’abat une épidémie de peste dans l’insouciance du printemps. Y est témoigné dans ce roman, toute la pugnacité des médecins et du préfet pour tenter de juguler l’épidémie par les mesures appropriées. Mais surtout ce roman témoigne avec justesse des attitudes collectives face à une crise sanitaire : les collabos refusant la reconnaissance du mal, les résistants qui s’efforcent de s’organiser en vue de lutter, les profiteurs faisant du marché noir.

Le roman souligne l’aléatoire et le subjectif de la vie, s’avérant que nous sommes tous peu de choses (parfois), face à la maladie. C’est une méditation sur le mal, l’absurdité mais aussi la solidarité humaine, au travers cette lecture pas si anxiogène qu’il n’y paraît. C’est un portrait d’une société à qui on a ôté les libertés fondamentales. On y trouve différents personnages : Bernard Rieux, médecin oranais pragmatique et luttant contre la maladie, les autorités décidant le confinement de la population oranaise, Rambert, journaliste cherchant à fuir la ville, Tarrou tenant une chronique quotidienne sur l’évolution de la maladie, Paneloux, prêtre jésuite voyant dans la peste une malédiction divine. La Peste était aussi une allégorie du nazisme, dans le contexte de l’après-guerre.

Ce qu’il en ressort est que les hommes sont plutôt bons que mauvais, du moins selon Camus. « Chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne… ». Vu sous un autre point de vue, le confinement est une épreuve psychique à ne pas sous-estimer pour certains, susceptible d’engendrer : anxiété, dépression, frustration. Ce type de quarantaine ne se révèle pas être une expérience anodine, nécessitant parfois un soutien psychologique approprié. A ce titre, la médecine se fait le relais des crises d’angoisse et des insomnies ayant suivi la courbe de l’épidémie actuelle. S’y ajoute la peur pour l’entourage, le sentiment personnel de vulnérabilité face à la maladie dans une impermanence des choses, la crainte certes non réellement justifiée (mais réelle chez certains) d’une catastrophe sanitaire généralisée.

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Tout cela a saisi les Français, à mesure que les autorités publiques prenaient conscience de la relative gravité de la situation. Après avoir trop attendu et pris les choses à la légère aux débuts, semble-t-il. Cette épidémie pourrait être maîtrisée à l’heure actuelle, si certaines mesures avaient été prises dès le mois de février, permettant d’éviter cette solution extrême du confinement général, si lourde de conséquences pour le quotidien des Français. Et cela alors que le président Macron s’affichait en public, au théâtre avec son épouse, le 9 mars dernier, en plein développement de l’épidémie en France, une semaine seulement avant l’annonce de la fermeture des lieux publics et du confinement.

Ce-dernier est semble-t-il mal conseillé dans son entourage, alors que nous avons des scientifiques très compétents et sa communication de crise a été désastreuse, bien qu’il soit toujours facile de critiquer, surtout après coup, car personne ne pouvait prévoir, mais gouverner c’est aussi prévoir. Emmanuel Macron vient seulement de rencontrer, hier après-midi, le professeur Raoult, savant fou pour les uns, très bon spécialiste pour les autres, pour parler notamment de son traitement à la chloroquine (qui serait efficace dans 91 % des cas d’infection), son entourage l’en ayant même dissuadé jusqu’à présent, quoi qu’il en soit.

Selon l’OMS, ce confinement pèse sur la santé mentale des Français et ces mesures peuvent avoir des conséquences comportementales pour certains. Il constitue une expérience sans équivalent dans l’histoire et met notre moral à rude épreuve. L’OMS tente d’alerter sur les conséquences des mesures sur l’isolement physique. Elle affecte nos passions (ce que nous aimons faire), notre identité et notre comportement (ce que nous voulons être), notre relationnel (avec qui nous voulons être). Sans oublier les conséquences économiques (situation de faillite…), en lien souvent direct avec le psychisme actuel des Français, absolument désastreuses (notamment pour les PME et indépendants) et aux conséquences incalculables, alors que l’économie est ralentie de moitié en France. D’autant plus que personne n’en connaît encore la durée.

Cette situation laissera des traces, dans le pyschisme des Français, étant encore trop tôt pour donner une idée du stress associé à cette situation de confinement drastique. La peur de la contamination, l’impact psychologique lié à l’isolement, les risques suicidaires, les addictions, la solitude, le stress, l’anxiété, sont autant de conséquences… Par ailleurs, quoi qu’il en soit de la durée de ce confinement, dans l’hexagone, la mauvaise gestion de la crise par les pouvoirs publics constituera un précédent historique, en la matière. Cela ne restera pas sans conséquences pour le pouvoir macronien et aussi sur l’organisation de notre système de santé, en général.

                                                                                                           J. D.

23 septembre, 2019

Balkany en prison…la fin ?

Classé dans : Politique,sujets de societe — llanterne @ 0:10

C’était la première nuit en prison pour Patrick Balkany, le 13 septembre, la justice ayant décidé l’incarcération immédiate de ce-dernier à la prison de la Santé, accusé de fraude fiscale. Le verdict est tombé. Patrick Balkany a été condamné à quatre ans de prison ferme avec incarcération immédiate et dix ans d’inégibilité et sa femme, Isabelle Balkany, à trois ans ferme, sans mandat de dépôt, en ce qui la concerne, pour raison de santé. Une décision disproportionnée disent les avocats du couple Balkany. Faut-il parler d’une peine exemplaire ? Balkany est-il le symbole de l’affairisme des années 80, qui n’auraient plus sa place aujourd’hui ? Peut-être a-t-on voulu empêcher sa fuite ? Et pourquoi le maire de Levallois-Perret est-il à ce point soutenu par les habitants de sa ville, ainsi que par certaines personnalités ? A l’image de Nicolas Sarkozy, qui a fait part de sa peine, suite à sa condamnation ? Comment les époux Balkany ont-ils réagi à l’annonce du mandat de dépôt ? Patrick Balkany mérite-t-il un traitement plus dur que Jérôme Cahuzac ? Les Balkany ont-il été protégés pendant des décennies ?

Il est certain que cette affaire constitue un écran de fumée dans l’actualité, ayant occupé partiellement les médias. D’autres sujets nous préoccupent plus, du moins en  ce qui me concerne (qui me désintéresse du destin du couple Balkany) et devraient être plus abordés, à l’image du chômage endémique, la désindustrialisation de la France, les gilets jaunes, la fiscalité, l’UE, l’immigration, etc… Cependant, c’est également une affaire intéressante et symptomatique car riche en enseignements sur le fonctionnement de notre vie politique et en particulier sur celui de la droite. C’est un système de vingt, trente ans, qui s’est effondré. Une page se tourne, c’est un peu la fin de l’empire, semblerait-t-il. La justice tombe enfin et rend son verdict. La sentence est tombée pour fraude fiscale. Il faut replacer les choses dans leur contexte, l’affaire étant atypique, car remontant à vingt-cinq ans. La mise en examen remonte à 2015 environ, l’instruction se termine en 2016/17. Les Balkany ont été mis en examen sur des accusations de blanchiment de fraude fiscale, étant accusés de n’avoir pas déclaré une partie de leur patrimoine, au demeurant sans commune mesure avec leurs indemnités d’élus. Quoi qu’il en soit de la fortune familiale supposée des époux Balkany.

La propriété de quatre hectares en Normandie, dit du « moulin de Giverny », dont ils sont propriétaires depuis trente ans, donnée à leurs enfants, mais dont ils conservaient l’usufruit, leur permettait de déclarer que 150 000 euros au fisc. Tout cela met évidemment en cause leur mode de gestion de la ville de Levallois-Perret, dont ils sont élus depuis 1983, tous les deux, avec une parenthèse d’un mandat. On a l’impression que les Balkany appartiennent à une autre époque. Celle où les Hauts-de-Seine étaient un empire et sur lequel régnait d’abord un certain Charles Pasqua, puis un certain Nicolas Sarkozy, avec des personnages, des barons, nous pourrions dire, du type de Patrick Balkany. On peut citer Patrick Devedjian à Antony, André Santini à Issy-les-Moulineaux, Charles Ceccaldi-Raynaud à Puteaux, dans des communes souvent à gauche, voire communistes dans l’après-guerre et conquises par le RPR/UDF au début des années 1980. C’est le temps des comptes. Là, on l’envoie en prison, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Environ 20 000 mandats de dépôt à l’audience sont déposés par an en France, ce qui est considérable (uniquement pour les peines de plus d’un an de prison selon la loi). Patrick Balkany est dans une procédure de victimisation avec le mandat de dépôt, la vérité étant qu’il savait qu’il serait condamné. La condamnation n’est absolument pas une surprise. La surprise est l’incarcération. Tout le monde pensait qu’elle interviendrait plutôt au deuxième volet du procès, prévu à l’automne. Sa femme est aux commandes désormais de la mairie de Levallois, le maire-adjoint assurant l’intérim.

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C’est l’occasion d’opérer un retour sur une incroyable saga politique. C’est l’histoire d’un tandem, d’un duo souverain à Levallois. C’est un couple carriériste, la stratège étant Isabelle Balkany, qui a pensé, Levallois étant autrefois une ville ouvrière du nord-ouest parisien, enlevée au PCF en 1983, devenue une ville cossue, assez en pointe, avec l’immense aménagement du front de Seine. Les Balkany, c’est un couple type Bonnie and Clyde. Ils se sont rencontrés en 1975. Patrick Balkany invite sa future femme à un match de boxe, ce qui est original. Ils dînent chez Lipp, puis se marient. L’adversité les renforce. Isabelle Smadj, de son nom de jeune fille, est une fille d’immigrés juifs tunisiens ayant fait fortune dans le caoutchouc, domiciliés dans le 16e. Lui, sa famille paternelle, d’origine juive hongroise, a fait fortune dans le prêt-à-porter. Il a passé son enfance à Neuilly / Seine. Le magasin paternel était à proximité de l’Elysée. Balkany fait son service militaire à l’Elysée, et veut initialement être acteur. Il pense finalement à la politique. Candidat à Auxerre en 1976, c’est un échec. Il revient en région parisienne. On les appelle les Pasqua Boys. Devedjian ira à Antony. Balkany installe une permanence en face de la mairie de Levallois, qui fonctionne comme une sorte de mairie bis. Il y a trente, quarante ans, Levallois était une ville de gauche, communiste, avec des taudis partout, des hôtels, des bars de voyous, des zones industrielles en déliquescence, voire en friche, notamment sur le front de Seine. La firme Citroën y occupe dès 1929, l’ex-usine « Clément-Bayard » (70 000 m²), sur les quais de Seine (fermée en 1988), où sera fabriquée la fameuse « 2 CV ». C’était également jusque dans les années 1960, le repaire des taxis de la région parisienne, où se trouvait leurs garages.

Cette banlieue ouest, ancien département de la Seine (75), devenue les Hauts-de-Seine (92) a été populaire. Dans les années 1950, les Hauts-de-seine étaient encore une banlieue rouge, ouvrière, berceau de l’automobile. A la fin des années 1960, le général De Gaulle décide de faire de La Défense un quartier d’affaires qui va bouleverser le territoire. Les gaullistes lancent l’offensive contre les municipalités communistes. En tête, Charles Pasqua va faire de ce département le «coffre-fort du RPR», devenu ensuite l’UMP. Mais la reconquête des municipalités communistes sera progressive et s’opérera réellement dans les années 1980. Balkany fait 51 % en 1983, c’est difficile. Il gagne de justesse. Il arpente les rues. Isabelle Balkany est la communicante, journaliste à la base. Elle est dans la stratégie. C’est aussi la droite des années 80 et 90. Ils sont la jeunesse, l’avant-garde de la droite RPR et comptent bien marquer la vie politique française, quand ils sont élus en 1983. « Je suis là pour trente ans, si je ne fais pas de bêtises », dit-il à son élection. Pourtant, il y en aura. Ils réfléchissent à l’aménagement de ces villes de l’ouest, en misant sur la sécurité. Il fait parler les bulldozers, pour en faire une banlieue chic. Ils ont transformé cette ville indéniablement. Durant ses deux premiers mandats, Patrick Balkany a contribué à la profonde mutation de Levallois. Il a transformé les zones industrielles déliquescentes ou en friche (occupant près d’un quart de la superficie de la ville), frappées par la crise industrielle et ne cessant de dégringoler à leur arrivée, en quartiers résidentiels et de bureaux. 

Il a fait venir une nouvelle population, ce qui signifie de nouveaux électeurs, leur offrant les services dont elle avait besoin. Dans sa chanson Levallois, le chanteur Florent Marchet et dans son roman 99 Francs, le romancier Frédéric Beigbeder citent Levallois-Perret comme l’archétype des années 2000 de la ville de première couronne parisienne, refuge d’une jeunesse médiocre (emplois tertiaires dans la capitale), de droite (non-boboïsée), contrainte de quitter Paris à cause des prix de l’immobilier pour y installer leur famille. A ce titre, c’est toute la partie nord des Hauts-de-Seine qui a changé, au tournant des années 80. Soit un Etat dans l’Etat en France et dont le PIB est équivalent à celui de la Grèce avant 2008 et de beaucoup de petits pays européens. Parce qu’il y a notamment ce quartier d’affaires de la Défense, érigé dans les années 60 où sont domiciliés de nombreux sièges sociaux d’entreprises payant leurs impôts locaux. Et le plus souvent géré par des mairies de droite, qui étaient de gauche avant, sans transparence sur les affaires de financement de partis politiques et avec beaucoup à faire sur le plan immobilier. Levallois-Perret regroupe près de 4 500 entreprises et commerces pour près de 60 000 emplois, les experts en géographie économique rangeant cette ville dans le « Croissant d’or » désignant les communes d’Issy-les-Moulineaux, Boulogne-Billancourt, Neuilly-sur-Seine, Clichy, la rive droite de la Seine. De nombreux sièges sociaux de grandes entreprises  s’y concentrent, sa proximité avec le quartier d’affaires de la Défense privilégiant cet espace économique. C’est comme cela que ces communes se sont complètement transformées architecturalement et sociologiquement. Et cela fait longtemps, à vrai dire, que la presse et la justice suspectent Patrick Balkany de monnayer les terrains immobiliers, de faire de l’argent et d’avoir constitué une fortune.

Nous le savons, Levallois est une ville tout à fait limitrophe de Paris, donc les terrains immobiliers ont une valeur considérable. Et puis reste la façon, dont il a usé de son pouvoir d’influence. Puisqu’il a aussi fait des affaires en Afrique noire, notamment lorsque Nicolas Sarkozy était président, par sa proximité et son amitié présidentielle. Balkany a été réélu, étant indéniable qu’il a transformé cette commune. Il en a fait la ville des classes moyennes, des cadres, avec des crèches partout, des centres sportifs, des associations sportives. Et Balkany a soigné ses habitants de Levallois, avec le taux de crèche le plus élevé en France, chaque retraité ayant droit à sa bouteille de champagne, chaque année. Mais au prix d’un endettement énorme, qui devra être payé, un jour, par les citoyens de Levallois. C’est la ville la plus endettée de France. Mais c’est en même temps une commune où il y a des sièges sociaux (Alstom, Butagaz, Guerlain, L’Oréal, Plastic Omnium, GMF, Lagardère, Constantin Associés…), qui a des revenus pouvant justifier partiellement cet endettement. Sarkozy et Balkany étaient amis par leurs pères respectifs, par leurs origines hongroises communes. Balkany l’a emmené en java, à la fondation du RPR en 1976. Balkany a toujours eu plus de moyens que Sarkozy. Sarkozy regardait Balkany comme le grand frère, pistonné, plein aux as, qui le fait marrer. En 1983, c’est lui qui appelle Sarkozy à la mort d’Achille Peretti, qui était maire de Neuilly/Seine, lui disant que la place est libre. La toile d’araignée se tisse. Il en a toujours rajouté d’ailleurs dans la mise en avant de cette amitié, car cela servait ces intérêts. Les Balkany sont le sparadrap des années bling-bling, l’ayant toujours été. Durant cette période où Cécilia Attias était en train de quitter Nicolas Sarkozy, c’est Isabelle Balkany qui a fait le lien. A sa décharge, Sarkozy ne l’a jamais fait ministre, Balkany ayant toujours rêvé d’obtenir le portefeuille de la coopération, par ses liens avec l’Afrique. Ayant même, paraît-il, claqué la porte de son bureau de l’Elysée, quand il avait appris qu’il ne serait pas ministre.

Balkany a été un soutien, un ami de jeunesse, une relation de vingt, trente ans. Il était du côté de Sarkozy et de Balladur en 1995. Ce qui lui a valu d’avoir le courant chiraquien dans sa ville, qui le battra en 1995, dans le contexte de sa 1ère condamnation. Mais Sarkozy l’a toujours confiné à Levallois. Tout en lui donnant un passeport diplomatique, ce qui lui a permis de beaucoup voyager en Afrique et de multiplier les affaires occultes. Il jouait le rôle de conseiller de l’ombre, au sujet de l’Afrique. Mais il y avait tout un halo d’affaires autour de lui. Sous le quinquennat précédent, vers la fin, il se disait que la mairie de Levallois fonctionnait comme un Matignon bis et que les réseaux y manoeuvrant étaient plus puissants qu’à Matignon même. Sarkozy n’a en tout cas pas du contribuer à enclencher les procédures en cours, sous sa présidence, accélérées sous François Hollande. Patrick Balkany a déjà été condamné dans le passé, puis il a été réélu. La première affaire Balkany a touché au fait, qu’ils confondaient personnel municipal et domestique, emmené par exemple, dans leur villa aux Antilles, l’ayant conduit à être condamné à une peine d’inégibilité. Comme cela arrive parfois, il a ensuite été réélu, ayant d’autres exemples d’élus condamnés par la justice, puis au fond adoubé par leur électorat, à droite comme à gauche. Là, l’affaire était plus grave. C’était d’une autre nature, les biens du couple Balkany ayant une valeur très supérieure à leur patrimoine déclaré, tout ce qu’il y a de transparent, ayant toujours été élus (conseiller général, maire, député).

C’est la première fois que la justice arrivait à démonter le système. Le choc frappant Balkany vient d’abord de son propre camp, de l’intérieur, non des juges, des médias, mais essentiellement de l’un de ses anciens camarades de jeux, à savoir Didier Schuller. Mêlé à l’affaire du financement du RPR et des HLM de la ville de Paris, Schuller a tout pris à un procès l’ayant impliqué, en présence de Balkany, sans rien dire. Il y avait deux offices HLM à Paris, dont un finançant le RPR au travers un système de pots-de-vin versés contre l’octroi de marchés publics. C’est la vengeance de Schuller qui a changé les choses, à savoir son clone. Il y a trente ans, il devait prendre la mairie de Clichy, voisine de Levallois. C’est tout un périmètre, Levallois faisant 1km de long sur 1,5 km de large, soit de tous petits rectangles aux portes de Paris, entre la Seine et le périph’ (les portes de Champerret et de Levallois), où tout était à faire en immobilier. Didier Schuller s’en va en cavale en République dominicaine, sa vie étant, au fond, détruite, ayant perdu de son aura. Et vingt ans plus tard, étant revenu, en révélant tout ce qu’il savait, il a mis la justice sur la piste, lui ouvrant une porte d’entrée sur le système Balkany. Cette mise en examen a signé le début des gros ennuis pour Patrick Balkany. Quelques mois plus tard, les députés « Les Républicains » ont voté la levée de son immunité parlementaire, étant un signal très simple et clair, signifiant que personne n’a voulu bloquer le travail de la justice. Les Balkany devenaient peut-être un boulet pour la droite, à l’approche des élections régionales 2015, à l’époque.

Balkany est un personnage qui s’est installé dans le paysage médiatique, avec ce style très particulier, avec des gens aimant aussi ce style. Balkany, c’est une star, alors qu’au fond, il n’est que le maire de Levallois-Perret. C’est une grande gueule, qui aime serrer des mains, qui va discuter avec la mamie, qui a des capacités d’acteur, ayant même interprété un rôle dans un film dans les années 1960. Il est charmeur. Il a quelques saillies. « Je suis l’homme le plus honnête du monde ». « Si on ne ne nomme qu’un homme qui n’a pas été sali, on aura plus de candidat dans les Hauts de Seine ». C’est toujours un homme qui est sûr de lui. Il était devant la 32e chambre correctionnelle de Paris, face à des juges très flegmatiques et sévères. Dans son for intérieur, Balkany refaisait le match après chaque audience, devant ses soutiens. Tous ses arguments chutent un par un. En revanche, en terme de mise en scène, on ne peut nier son investissement. Il a prétendu que c’était de l’argent familial, non déclaré par omission. C’est un hâbleur, provocateur, charmeur, qui a aussi fait ce numéro pour conjurer sa peur et la tenir à distance. On a voulu également sanctionner une ère Sarkozy. C’est un cas très particulier, en réalité, car on a affaire à une PME, une auto-entreprise de la fraude, comme l’analyse certains. Les affaires des années 80 des partis sont systémiques, pour le financement, impliquant plusieurs dizaines de personnes. Là, cela implique un couple sur des décennies. Balkany a quand même été renouvelé, soutenu, au-delà du raisonnable, au sein des Républicains, jusqu’en 2015, ce qui pose le problème de la lenteur de la justice. Cela rajoutait de l’eau au moulin de ces politiques corrompus jamais condamnés.

On a manifestement voulu faire un exemple, au travers cette première condamnation pour fraude fiscale sans précédent. Ce qui lui est reproché, c’est d’avoir déchiré le pacte républicain, comme l’a fait Jérôme Cahuzac. Mais il est puni également pour l’ensemble de son oeuvre, car c’est la plus grande collection de mises en examen peut-être de la vie politique française. Il y a une dimension exemplaire dans le jugement. Il y a toujours un aspect moral sous-jacent. La principale formule est l’enracinement prolongé dans la délinquance avec la volonté de dissimuler son patrimoine, à un tel point qu’on puisse imaginer qu’il tente de s’extraire à la justice en s’exilant à l’étranger. C’est ce qui explique vraisemblablement son mandat de dépôt. Patrick Balkany est inscrit comme un délinquant et un fraudeur fiscal. Le couple Balkany fait les frais de lois qui ont été votés à l’AN. Une législation oblige les élus à déclarer leur patrimoine. Le cas de Cahuzac est exceptionnel, ministre des finances ayant dissimulé son patrimoine au fisc. Cahuzac a bénéficié d’une peine aménageable. Ce qui était puissant dans l’affaire Cahuzac, c’était l’image très forte d’un ministre mentant devant l’AN. Cela portait sur quelques centaines de milliers d’euros planqués à Singapour, et sans antécédent judiciaire sur ce plan là aussi. Le ministre et la parole ministérielle ont été visés. En revanche, Cahuzac a été le 1er à faire de la prison ferme, ce qui a été aménagé finalement. C’est vrai que Cahuzac a été condamné à une peine forte, sans faire de prison. Balkany se voit condamner, ayant avoué tardivement, avec une attitude au procès particulièrement mal appréciée par la cour. Il a ce côté grande gueule. Il a été complément lui, provocateur, recadrant son avocat, avec son portable sonnant en pleine audience avec la musique des tontons flingueurs. La justice y a vu une forme de nonchalance, de provocation. Il n’a jamais demandé pardon, ni cherché à aller négocier à Bercy, pour réparer sa faute. Ce pourquoi les juges se sont dits aussi que la prison est une réponse. Par rapport à ces grandes gueules, comme Tapie, l’opinion est divisée. Balkany, c’est blanc ou noir.

Il va y avoir ce deuxième procès. A l’étranger, tous leurs biens leurs ont été confisqués. On attend le deuxième jugement, pour avoir les saisies définitives. La justice a ordonné la vente de leur villa « Pamplemousse » à St-Martin, aux Antilles, allant directement à l’Etat. Balkany utilise des prête-noms dans l’acquisition de ces propriétés aux Antilles et au Maroc, sans parler de sa maison de Giverny, comme Jérôme Cahuzac l’a fait, afin de détourner la rigueur du fisc. Mais aussi comme Mitterrand qui a acheté un domaine dans le Lubéron, sous un prête-nom, la propriété de Gorde, mais au bénéfice d’Anne Pingeot et de Mazarine et non pour des raisons fiscales. Patrick Balkany n’a pas inventé ce système. Il est aussi « victime », entre guillemets, si l’on peut dire, de l’affaire Cahuzac et de la GRASC, ayant épluché ses déclarations de revenus. Cette agence a été le fruit d’une loi portée par Nicolas Sarkozy en 2010, mise en application en 2011, le but étant de toucher les truands, la pègre, de la déstabiliser, permettant de saisir, puis de vendre des biens acquis frauduleusement, sans attendre la décision de justice. En Italie et aux Etats-Unis d’où vient ce modèle, c’est une méthode efficace pour lutter contre la mafia. Il a été victime de ces lois, de cette agence, qui a été créé pour lutter contre le crime organisé, à l’origine. La procédure a duré environ quatre ans. La déclaration des époux Balkany était frauduleuse, ce qui était facile à démontrer. Mais le problème était de savoir d’où vient l’argent et là-dessus, la procédure pouvant s’établir sur des mois, voire des années. Effectivement, si cela venait de montages, de portages d’affaires, de commissions occultes avec des circuits internationaux, pour les juges, cela allait être compliqué à dénouer et à établir, ce qui explique la longueur de la procédure, entamée en 2015. 

Il reste le moulin de Giverny, qui est la résidence principale. On est à 4 millions d’euros d’impôts éludés. Il faudra attendre au moins jusqu’au 18 octobre. Il sortira dans quelques mois, en raison de son âge. Il dort ce soir, dans le quartier des personnes vulnérables, là où a peut-être été Guillaume Appolinaire durant une semaine, accusé à tort en 1911 de complicité de vol de la Joconde, le préfet Maurice Papon, l’ex-dirigeant d’Elf-Aquitaine Alfred Sirven, l’homme d’affaires Xavier Niel durant un mois avec mandat de dépôt pour « recel d’abus de biens sociaux » en 2004, l’homme d’affaires Bernard Tapie, l’opérateur de marché de la Société Générale Jérôme Kerviel. Mais aussi des policiers pour des affaires de corruption ou de violence tels Michel Neyret, ancien directeur-adjoint à la police judiciaire de Lyon, qui a été mêlé à une affaire de policiers ripoux baignant dans le trafic de stupéfiants. Il est seul dans une cellule rénovée, équipée d’un téléviseur loué, bénéficiant de la visite d’un médecin. Mais ça reste la prison, avec une heure de promenade. Il est toujours officiellement maire, en 1ère instance, les peines annexes n’étant pas exécutoires. Isabelle Balkany a été condamné à trois ans, elle aussi frappée d’inégibilité, la décision n’était pas exécutoire.

Dès lors, Balkany ne pourra se relever, on suppose. Cela dit, on se méfie car bien que septuagénaire, cela faisait vingt ans que l’on parlait de sa fin, sa chute. Effectivement, il est dans le tourbillon de la justice depuis trente ans, Patrick Balkany ayant été élu quatre fois maire, au travers un système bougrement clientéliste. Il y a la justice et la démocratie. Ces élus retournent devant leurs électeurs, à chaque fois et s’ils s’avèrent talentueux, ces-derniers redonnent leurs voix systématiquement. L’inégibilité est fixée un temps, par le juge, un élu pouvant avoir une deuxième ou une troisième vie politique. Alors qu’un fonctionnaire d’autorité ne le peut, car étant révoqué. En Allemagne, lorsque l’on a été condamné par la justice, on ne peut se représenter. Moralement, les partis politiques pourraient établir une limite. Le suffrage universel a une valeur autre dans l’hexagone. C’est heureux pour certains, pas pour d’autres. Les charges sont lourdes. Il a fait cinq mandats, vingt-cinq ans de député et trente-cinq ans maire environ. En prison, il pourrait être candidat le 15 mars, car la peine n’est pas exécutoire, du moins pour l’instant. Ca pourrait être Isabelle Balkany, la candidate. Ils seront toujours éligibles. Mais songeront-ils à se représenter ?

                                                                                                                                                J. D.

 

14 mai, 2018

Un 1er mai désuni

Classé dans : Politique,sujets de societe — llanterne @ 3:23

Ce devait être une démonstration de force pour les syndicats dans un printemps social agité, sur fond de blocage dans les universités, de grève à la SNCF, à Air France… Mais ce 1er mai sera marqué par la désunion syndicale. La CFDT boude les cortèges et la CGT continue d’espérer que cheminots, pilotes, infirmiers, caissières finiront par additionner leurs forces et unir leur colère. Mais pour l’instant, l’opinion soutient en tout cas la réforme de la SNCF et la mobilisation s’effrite un peu plus chaque jour. Du côté politique également, l’unité est difficile à construire. Par ailleurs, le cortège parisien de la manifestation a dû être détourné. Car une autre mobilisation s’est organisée en ce 1er mai, celle de mouvements radicaux qui utilisent, eux, la violence contre la politique d’Emmanuel Macron. Plus de 1 000 casseurs cagoulés, organisés, en rangs serrés, ont eux aussi, célébré le 1er mai à leur manière, ce qui est du jamais vu.

A ce titre, plusieurs questions se posent. Les syndicats désunis servent-ils encore les intérêts des travailleurs ? Ne sont-ils pas devenus des mouvements politiciens ? Pourquoi n’ont-ils pas profité de cette occasion pour effectuer leur démonstration de force ? Qui sont ceux ayant commis les violences, en marge de la manifestation du 1er mai à Paris ? Que font ces organisations très radicales ? Aurait-on pu éviter les violences et les dégradations en marge du défilé parisien du 1er mai ? Est-ce que l’on a suffisamment anticipé les événements, à la préfecture de police de Paris ? Comment anticiper ce genre de choses ? La CGT a-t-elle un service d’ordre ? Pourquoi n’est-elle pas à même d’empêcher les casseurs de sévir ? Quelle sont les conclusions à en tirer ? Quelle sont en les causes ?

Dans un premier temps, ce qu’il convient de constater, c’est que s’ils font front commun à la SNCF ou dans la fonction publique, une nouvelle fois les syndicats n’ont pas défilé côte à côte en cette journée internationale des travailleurs. Il faut remonter en effet à 2017, entre les deux tours de la présidentielle, pour voir les centrales faire bloc. Ce jour-là, 1,3 million de personnes avaient manifesté (selon le ministère de l’Intérieur) à l’appel de la CGT, de la CFDT, de FO, la FSU et de l’Unsa pour « faire barrage » à Marine Le Pen. Et cette année, la désunion est la règle, malgré un contexte social agité avec les mobilisations de cheminots, de fonctionnaires, d’étudiants, de retraités ou de salariés d’Ephad et d’Air France. Sont en cause des positions jusqu’ici irréconciliables sur la « convergence des luttes » prônée par Philippe Martinez, le numéro un de la CGT.

Réfractaire à ce mode d’action, le secrétaire général de la CFDT – Laurent Berger – entend mettre l’accent sur le dialogue social et la négociation collective. Alors que du côté de Force Ouvrière, l’arrivée de Pascal Pavageau s’accompagne d’un changement de ton. La semaine dernière, la gauche a multiplié les rendez-vous anti-Macron, mais chacun est resté pour l’instant dans son couloir. Jean-Luc Mélenchon a souhaité faire du rassemblement du 5 mai, la « marche nationale » à l’appel du député LFI de la Somme, François Ruffin. Néanmoins malgré cet appel, aucun représentant de la France Insoumise n’était présent place de la République, pour le « meeting unitaire » réunissant notamment Benoît Hamon (Génération.s, ex-PS), Pierre Laurent (PCF), Olivier Besancenot (NPA), David Cormand (EELV).

Si l’on additionne les cortèges parisiens et en province, avec 20 000 manifestants dans le cortège syndical, c’est ni plus ni moins, que les dernières années. Mais cela mobilise de moins en moins, la CFDT, la CFTC allant de plus en plus dans une logique de négociations et aussi parce que les mentalités évoluent. Dans les syndicats aujourd’hui, il y a également un vieillissement des bases militantes. Les jeunes générations ne battent plus autant le pavé parisien, le poing levé, il y a aussi internet. Macron expliquait que la démocratie sociale, c’était terminé et que les syndicats étaient là pour parler dans les branches, dans les entreprises, mais pas à l’échelle nationale. C’est un risque, car nous avons aussi l’impression que le pouvoir exécutif a pulvérisé les forces politiques d’opposition. Et il a certes beaucoup écouté les organisations syndicales et patronales, mais il les a laissés sur le côté.

Les organisations syndicales sont à la recherche du dialogue, comme à la SNCF, à la recherche d’une convention collective. Et la place a davantage été laissé au syndicalisme de rupture, la CGT, la CFDT. On a le sentiment que Macron donne le dernier coup et c’est là où il y a rupture, comparée à ses prédécesseurs. Ce qui est assez nouveau et peut-être assez dangereux, c’est la manière dont ils traitent les syndicats souhaitant dialoguer, car nous avons besoin de syndicats, certes représentatifs comme Outre-Rhin. A ce titre, Laurent Berger avait tendu la main sur la SNCF, sur le conflit Air France, disant qu’il fallait arrêter ce bras de fer, la compagnie aérienne allant dans le mur, ce qui en fait un interlocuteur. Mais Emmanuel Macron fait la sourde oreille, car il considère qu’il n’a pas besoin de cette main tendue et que les réformes se feront, quoi qu’il en soit. Et Macron semble mettre ainsi tous les syndicats dans le même sac. Il y a pourtant des différences notables entre la CGT de Martinez et la CFDT de Laurent Berger. Outre-Rhin, si les réformes s’opèrent efficacement et en douceur, c’est souvent parce qu’il y a des syndicats représentatifs en face, à même de négocier.

Le monde du travail est beaucoup plus perplexe que l’ensemble des Français, à ce titre, vis-à-vis de cette option politique visant à marginaliser les syndicats posant problème, montrant que cette option n’est pas aussi évidente. On a vu des responsables de la CFDT faire de la philosophie politique, ces dernières semaines, en interpellant le chef de l’Etat. C’est la nécessité du contrat, du dialogue, de travailler en amont. Ce syndicalisme se trouve dans une logique de contestation, de protestation certes, mais pas de radicalité violente. Regardons quand l’Unef recule ou à NDDL, où les élus locaux sont moins présents. Or cela fait une société plus dure, quand il n’y a pas d’éléments intermédiaires, des facilitateurs, à même de transformer de la colère en propositions et en dialogue.

Ainsi on s’aperçoit que sur un certain nombre de réformes, les syndicats font de la pseudo-contestation. Cependant les organisations ne veulent pas dérailler et n’ont pas voulu profiter du 1er mai pour faire leur démonstration de force. La CGT n’a de signification de valeur que si on est d’accord sur les objectifs. Or l’objectif de la CGT est un peu l’héritier de l’objectif du PCF. Et l’unité d’action a toujours prévalu sur la logique syndicale. Le nouveau dirigeant de FO promet de durcir le ton et tranche avec la logique de son prédécesseur. On se demande également si certains syndicats (FO, CGT…) servent encore les travailleurs et pas des positionnements politiques. La CGT a clairement des positionnements politiques, au contraire de la CFDT. Mais partout en Europe, le syndicalisme est utile, car il accompagne, il ne conteste pas. Une organisation doit avoir une relation de construction avec le politique. Et les syndicats se trouvent confrontés à cette violence sociale ayant des expressions récentes.

Les enragés, les anarchistes, les antifas, les zadistes, se distinguent bien d’une protestation du registre démocratique. Il y a toujours des casseurs en fin de cortège, comme ceux ayant dévasté le boulevard Montparnasse, lors de la loi El Khomri. Mais là, ils étaient devant, organisés et structurés. C’est un problème pour les organisations syndicales, qui voulaient refaire leur image. Ce ne sont toutefois pas nécessairement les services d’ordre des syndicats qui sont coupables. Les casseurs sont très très jeunes, le service d’ordre de la CGT, ce sont des gros durs, mais qui ne sont pas adaptés. Les services d’ordre d’aujourd’hui ne sont aussi pas ceux d’hier. Ils ne sont pas armés face aux Blacks blocs pour rivaliser. Le service d’ordre sert à réguler la manifestation, pas à faire la police dans Paris, et pas à Austerlitz.

Dans certains cas, ils interviennent, tels ceux de la CGT ayant éjecté des casseurs à Tolbiac, empêchant certains d’entrer dans la fac. A la fin septembre, les troupes de la France insoumise se sont affrontées à la Bastille avec les Blacks Blocs. Les services d’ordre ont été efficaces, révélant parfois une meilleure mobilité, dans certains cas. Il y a des provocateurs, mais la réalité c’est que l’immense majorité des manifestants étaient pacifiques et pacifistes. Dans les entrepôts de la SNCF, il y a eu juste un ou deux cas de violence. Le défilé syndical a été bloqué par un rassemblement d’environ 1 200 individus cagoulés, masqués et vêtus de noir, à hauteur du pont d’Austerlitz. Ces organisations très radicales cherchent à se faire porter par cette contestation. Rassemblés autour de banderoles, ils ont scandé des slogans hostiles au gouvernement et à la presse avant de saccager un restaurant Mc Donald’s. 

Macron en déplacement en Australie, s’est dit ne cherchant pas à fuir ses responsabilités. On est dans une Ve République, où tout remonte en haut. Tout tourne autour de cette figure assez archaïque du président. Emmanuel Macron a condamné « avec une absolue fermeté les violences qui ont eu lieu et qui ont dévoyé les cortèges du 1er mai ». « La journée du travail, c’est la journée des travailleurs pas la journée des casseurs », a-t-il affirmé. Le Premier ministre Édouard Philippe a lui réagi depuis le commissariat du XIIIe arrondissement de Paris, souhaitant couper court à toute polémique. Les critiques pleuvent sur la gestion de la manifestation du 1er Mai. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, demande une commission d’enquête parlementaire sur la « chaîne de commandement ».

Le secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, dénonce « l’attitude trouble des forces de police ». « Faillite de l’Etat régalien » pour le patron de LR Laurent Wauquiez, « laxisme du pouvoir » selon la présidente frontiste Marine Le Pen. De son côté, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a dénoncé d’« insupportables violences » et a appelé les plus jeunes à « ne pas se laisser embarquer là-dedans ». Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, assume ses choix. Il peut certes se prévaloir d’un bilan humain avantageux : seules quatre personnes ont été légèrement blessées, dont un CRS. Mais 31 commerces ont été mis à sac, 16 véhicules ont été dégradés ou brûlés. Politiquement, l’amertume l’emporte, tant le délai entre les saccages et l’intervention des forces de l’ordre est apparu important. Voilà de nouveau la philosophie du maintien de l’ordre à la française remise en cause.

Nous sommes dans un contexte de radicalité très fort, avec des casseurs venant de l’hexagone mais aussi de partout en Europe. Les repérages ont été faits, avant le défilé. Vous aviez depuis quelques jours, des tracts, des signatures, tout cela été pensé et réfléchi, car ce sont des gens très décentralisés, structurés. Les Black blocs sont des mouvements très radicaux, présents partout en Europe. On peut dire des Black blocs plutôt qu’ils sont spartakistes, anarcho-etc., mais pas vraiment d’ultra-gauche. Les Black blocs, ce n’est pas un mouvement, un nom générique. C’est un mode opératoire, une méthode visant à se cagouler, à se fondre et à disparaître. C’est un kidnapping de manifestation. A ce titre, Mai 68 en est un exemple car contrôlé par personne, les mouvements ayant été alors désorganisés. Il faut attendre 1986 pour apercevoir cette 1ère nébuleuse, ce qui s’est produit lors du CPE. Il y a plusieurs évolutions dans la désagrégation du mouvement social.

Mais ces casseurs choisissent leurs moments, leur coordination, leur souplesse. Et là, il y a des points de ralliement, c’est le 1er mai. Et l’on avait des renseignements des RG établissant que ce 1er mai était à risque. Ils avouaient être dépassés par ces jeunes, voire des très jeunes, cagoulés dans les cortèges. Cela fait fuir les manifestants, pris dans des mouvements de foule, ce qui est compliqué pour les organisations syndicales. Le gouvernement mis en cause tente de déminer le terrain et de justifier la méthode mise en place par les forces de l’ordre. La polémique politique laisse la place à ces Black blocs. Ils n’ont toutefois pas parasité toutes les manifestations des dernières années. Ils choisissent leurs manifestations, leurs moments. Tel cela a été analysé, nous sortons d’une phase de NDDL et d’occupation de facs et donc cela les a libérés. Avec la fin d’autres conflits, ce type de casseurs a pu se concentrer sur le 1er mai. L’anniversaire de mai 68 avec les cinquante ans, leur donne l’idée d’imiter voire de dépasser le passé également. Mais on est cependant loin des violences des militants maoïstes de la nuit du 27 au 28 mai 1968, dans un contexte qui n’est plus aussi celui de la fin des trente glorieuses.

Les interpellations ont été nombreuses à l’issue du défilé et jusque dans la nuit. Peu ont été pris sur le fait, en plein saccage. Mais c’est aussi tout le traitement de l’information qui est au cœur de ce débat. Car il y a un an, les casseurs ont été beaucoup moins nombreux, mais les dégâts ont été beaucoup plus importants. Maintenir l’ordre malgré le désordre donc c’est le juste équilibre à trouver. Le service d’ordre et les forces de l’ordre ont fait preuve de sang-froid, disent les syndicats policiers. Il aurait fallu sinon avoir quasiment le double d’effectifs, pour éviter de la casse, car il faut mettre des réserves d’effectifs sur tout le parcours. On n’en a pas les moyens, car on a NDDL, les facultés, Bure, Calais, les frontières, Menton… Donc on a des choix stratégiques qui sont à faire. L’objectif c’est de s’en prendre aux forces de l’ordre, mais si ces dernières sont en contact avec les casseurs, il y a des violences.

Les forces de l’ordre sont encore traumatisées par la mort de manifestants (Malik Oussekine en 1986 et Rémi Fraisse en 2014) et elles évitent le corps à corps dans la foule, privilégiant le maintien à distance, sauf si des personnes sont exposées. Là, ce sont plutôt des vitrines, du mobilier urbain, des véhicules qui ont été pris pour cible, et un Mac Donald’s avec un logo ANF, rejetant l’élevage animal. A NDDL, ce type de territoires, cela peut être la vulnérabilité, les failles ayant été exploité par ces mouvements. C’est l’aspect opérationnel, du point de vue théorique qu’il y ait à un moment donné un espace où le capitalisme et l’Etat n’a plus de rôle, cela a été théorisé. Face à la polémique qui enfle sur la stratégie policière, Edouard Philippe et Gérard Collomb ont pris la parole pour tenter de faire baisser la tension, la pression. Cette manif’ est un succès tactique relatif, car il y a dix fois moins de casse que l’année dernière. En la matière, l’ensemble du processus de maintien de l’ordre a été bien orchestré. Personne ne sait exactement ce que c’est qu’un métier de CRS. S’il y avait eu un mort, deux noyés, trois blessés, nous serions en train de faire le corbillard du gouvernement, de le suivre en cortège, en attendant sa démission.

L’usage de la force légitime n’est plus accepté dans la démocratie d’opinion émotionnelle. On ne va pas tuer quelqu’un pour sauver un Mc Do ou une voiture qui brûle, quelque soit l’adversaire. L’année dernière, les dégâts matériels étaient considérables, les blessés policiers très nombreux. Mais la particularité de ce type de groupe, c’est qu’ils ne sont pas dans la bataille de l’opinion, pour utiliser les masses dans un rapport de force avec les autorités, pour l’arrêt d’un projet, etc. Là, ils ne sont pas dans cette logique-là, parlant de sabotage, de blocage, c’est un rapport de force sur le terrain, pour démontrer que l’Etat est impuissant, que l’Etat dérape, que le système est impuissant et que les individus sont ingouvernables. Les anarchistes cherchent la destruction de toute forme d’autorité et l’action se fait par la violence. Au XIXe siècle, ils avaient tué un président de la République, jeté une grenade dans l’assemblée et il avait fallu un ministre de l’intérieur énergique et pragmatique, Georges Clémenceau, pour remettre de l’ordre dans tout cela. Mais le plus préoccupant à l’aune de ces évènements, c’est la faiblesse et la désunion affichée du monde syndical. L’Etat, la société civile, les entreprises ont besoin de partenaires sociaux représentatifs, Emmanuel Macron ne semblant pas accompagner une recomposition du modèle syndical hexagonal, pourtant nécessaire, voire indispensable à l’accompagnement de toute réforme en profondeur.

                                                                                                                                                                                     J. D.

 

8 mars, 2018

NDDL, un mois 1/2 après

Classé dans : Economie,Politique,sujets de societe — llanterne @ 23:31

Il y a maintenant environ un mois 1/2 de cela, le chef du gouvernement tranchait enfin. La décision d’Edouard Philippe était irrévocable. Après 50 ans de débats passionnés, 179 décisions de justice, des occupations de terres agricoles et une consultation locale, le 17 janvier dernier, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes était enfin abandonné. Mais en ce début de mois de mars, l’Etat de droit peine à s’imposer dans l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes, toujours non évacuée par les gendarmes. Le chef du gouvernement avait pourtant précisé que son évacuation par les zadistes était par contre une condition sine qua non et cela avant la fin de l’hiver. Alors que des incidents sans gravité ont éclaté ailleurs, le 3 mars, dans la ZAD de Bure (Meuse). Et que va-t-il se passer à NDDL, après l’abandon du projet, vu sous différents angles ? Va-t-on aux devants de nouvelles difficultés, quant à l’extension de l’aéroport de Nantes ? Les aéroports français sont-ils réellement saturés ?  Avait-t-on vraiment besoin d’un nouvel aéroport, dans la région de Nantes ? Est-ce la fin des grands projets étatiques, suite à cet abandon face à une pression populaire ? Que faire des terres agricoles de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes ? Et ce qui s’est joué à NDDL est aussi plus vaste et complexe. C’est un rapport à la modernité, au progrès. Car la question posée, c’est comment peut-on être moderne, tout en respectant l’équilibre environnemental sur le plan de l’aménagement du territoire. Comment concevoir un développement économique sans procéder à une artificialisation des sols, grignoter sur les surfaces agricoles et détruire les zones humides en France (dont on sait qu’elles sont très restreintes) ? Qu’en est-il sur le plan économique et du retour sur investissement ? Et combien vont coûter 50 ans d’atermoiements de l’Etat, sur le plan financier ? Quelles seront les compensations pour les collectivités locales ? Quelles seront les indemnisations accordées à Vinci ? Est-ce que cela sera un jour transparent ? Cela se négoce-t-il et que fait-on sur le plan comptable ? Autant d’interrogations sont soulevées et toujours en suspens.

Il y a un mois 1/2 de cela, avec l’abandon du projet de NDDL, c’était ainsi une longue histoire qui s’achevait, presque aussi longue que la Ve République. En effet, quand la déclaration d’utilité publique ouvre ce chantier d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en 1965, Charles de Gaulle est encore au pouvoir. C’est un premier dossier difficile sur l’écologie, après la loi travail. Edouard Philippe expliquait à l’Assemblée nationale, qu’il n’y avait pas de bonnes solutions sur ce dossier qui traînait depuis très longtemps. S’il y en avait eu une, elle aurait sans doute été prise avant. On ne pouvait s’avancer sur un projet divisant autant les Français, faisant si peu l’unanimité. Naturellement, la décision a enflammé les débats politiques, le gouvernement ayant pour la 1ère fois ressuscité une opposition inaudible depuis l’élection de Macron, du FN à la France insoumise, en passant par Laurent Wauquiez. Les critiques émanant des partisans du projet ont fusé, à la mi-janvier, les détracteurs parlant d’abandon en rase campagne, de déni de démocratie. On accusait alors le gouvernement d’avoir reculé devant les zadistes, à savoir les militants opposés au projet d’aéroport, occupant l’ex-Zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes. Soit un néologisme militant (ZAD) utilisé pour désigner une forme de squat à vocation politique, la plupart du temps à l’air libre, généralement destinée à s’opposer à un projet d’aménagement, dans ce cas à Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique (à quelques km de Nantes). Politiquement, le gouvernement est plutôt soutenu par les sondages. La réaction des Français pour la plupart n’est pas sur le fond, ne connaissant pas aux 3/4 le dossier. Mais ce qu’ils ont approuvé, c’est que c’était enfin une décision.

Depuis 15 ans, c’était quand même à la une de l’actualité et c’était le symbole de cette incurie de l’Etat, incapable de trancher. Pour les Français, c’était un symbole d’un Etat faible. Nous voulons des politiques prenant des décisions. De ce point de vue là, pour Edouard Philippe, c’était sa 1ère épreuve. C’est un ancien élu local, maire du Havre et il est parti du rapport des médiateurs. La décision a été relativement bien annoncée, car elle tranchait non seulement un débat du passé, mais aussi par avance les débats à venir, du moins partiellement. Par exemple, un débat sensible commence à germer, à savoir la question de la rétrocession des terres aux agriculteurs, qui étaient propriétaires et qui ont été expropriés. Et qui la réclame, cette rétrocession, puisque l’aéroport ne se fait plus. Cela fait deux ans, que l’on sait qu’il ne se fera plus. En attendant, les zadistes s’organisent pour réclamer le droit de s’installer légalement sur les terres qu’ils occupent.  Si on relit le rapport, ces terres doivent revenir à l’Etat. Cependant, même si cela était noyé dans l’ensemble de son discours, Edouard Philippe y a apposé une fin de non-recevoir. Si bien que l’Etat ne va pas garder les terres, les préempter sur le plan cadastral. Il faudra cependant négocier, ayant eu des agriculteurs expropriés et trouver des solutions avec ces agriculteurs installés entre temps. Qu’aucun départ n’ait lieu à un moment donné s’avère difficilement imaginable déclarait cependant Edouard Philippe. A ce titre, le précédent du plateau du Larzac est instructif.

Rappelons-le, la lutte du causse Larzac fut un mouvement de désobéissance civile non-violente contre l’extension d’un camp militaire qui dura une décennie, de 1971 à 1981. Et qui se solda par une victoire lorsque François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République, décida d’abandonner le projet. A ce titre, c’est une référence historique pour de nombreux zadistes, qui disent s’en inspirer largement, sachant que les terres agricoles du plateau n’ont jamais été évacuées, puis rachetées à l’Etat par des agriculteurs, des éleveurs installés entre temps. Que ce soit entièrement pacifique, espérons-le mais cependant ce n’est pas certain, disent certains spécialistes. Quelques expulsions seront opérées avec discernement, a-t-il été déclaré récemment. Emmanuel Macron ne s’est pas encore exprimé publiquement sur le fond du dossier, mais sur le fond sécuritaire il a déclaré : « je ne veux pas voir ce genre de choses sur le territoire français ». Ce n’est pas Martine à la ferme, l’ambiance à NDDL. Edouard Philippe tend aux zadistes l’occasion de partir d’eux-mêmes. Dans son discours très mesuré du 17 janvier dernier, il n’y emploie cependant pas le terme de zadistes, mais celui d’occupants illégaux, soulevant en filigrane la question de l’évacuation, de l’avenir des terres occupées. Un dispositif de 200 gendarmes a été mobilisé, dans les environs de NDDL. Mais après avoir obtenu l’abandon du projet d’aéroport du grand ouest, les 300 zadistes de Notre-Dame-des-Landes continuent à mener la danse.

Après avoir défié la préfète en visite sur le site, la huant, ils avaient appelé à converger récemment à NDDL pour fêter leur victoire, incendiant en effigie un avion en carton-pâte. La remise en état de la fameuse D 231 dite la « route des chicanes », détruite et occupée par les zadistes, se fait désormais au moyen d’un dispositif ahurissant. Mais il ne faut pas parler de « zadistes » dans un sens réducteur, car c’est un mouvement très large, rassemblant divers types d’activistes aux profils variés. Ces occupants sont des agriculteurs, des ingénieurs agronomes, des artisans, des collectifs d’élus, des écolos et aussi une nébuleuse de casseurs. Et avec une alliance dans le mode d’action entre contre-expertise, grève de la faim, coupage de routes, occupation illégale, squat et manifestations d’agriculteurs ayant mis leur matériel en danger ou encore vu leur matériel saisi. D’ailleurs, le décès accidentel d’un zadiste dans un affrontement avec des gendarmes a pesé dans la décision d’Edouard Philippe. Il ne souhaitait pas prendre le risque d’un nouvel incident. Et les forces de l’ordre rencontrent depuis 1986, des difficultés à s’adapter à la professionnalisation et la mobilité de ce type de mouvement protestataire. Des canaux de discussion seraient ouverts sur l’aménagement du territoire et l’avenir de NDDL. Un projet agricole encore incertain dans l’ex-ZAD est débattu avec la préfète et ainsi, on pourrait espérer une issue pacifique. 

Faisons de NDDL, insufflait le rapport du médiateur, un lieu où l’Etat est intelligent, dans un contexte agro-écologique. Et c’est aussi une idée de ne pas évacuer par la force NDDL, suite à une trêve hivernale. Vu sous un autre angle, les choses seraient appelées à se déliter, l’ex-ZAD étant forcément appelé à se dissoudre. Cependant, les zadistes n’auront pas leur victoire symbolique, si au printemps, il y a des départs. Une nouvelle période trouble a aussi été ouverte en prenant cette décision. C’est le grand risque des 50 zones où il y a déjà des crispations locales. Une liste par sous-catégories du Figaro établie par les RG montre une diversité de risques et de troubles liés à des erreurs manifestes de dialogue et de consultation avec les populations. Et nous allons devoir faire face à d’autres problèmes ailleurs, comme à Bure. C’est aussi le début d’une réflexion différente sur les projets. Ce qui est quand même très frappant, c’est que la contre-expertise des citoyens s’est révélée plus pertinente, dans le cas du projet de NDDL. Donc il convient d’abord avant de lancer un grand projet, de lancer une consultation technique et la prendre en considération. Mais la question la plus importante est de savoir si l’on a vraiment besoin d’un nouvel aéroport, dans la région de Nantes et ce qu’il en est sur le plan du retour sur investissement.

Il est difficile de s’y retrouver dans le décompte des aéroports français. L’Inspection du travail en dénombre pas moins de 475, mais si l’on compte uniquement les aéroports commerciaux, l’Union des aéroports français en dénombre environ 170. La France compte ainsi un aéroport pour 358 000 habitants, soit trois fois plus qu’au Royaume-Uni, six fois plus qu’en Italie et douze fois plus qu’en Allemagne. Il faut faire la différence entre les 17 grands aéroports parisiens et régionaux, ceux qui accueillent plus d’un million de passagers par an et les petits aéroports locaux. Les premiers, dont celui de Nantes, font des bénéfices. D’après un rapport de Bruno Le Roux, leur contribution économique s’élève à 20 milliards d’euros et ils représentent 149 000 emplois. Par contre, les autres sont en déficit chronique faute de passagers et ne survivent que grâce aux subventions publiques, seulement un aéroport sur cinq étant rentable. Les écologistes dénoncent, depuis les années 1960, un gaspillage des ressources en France, pays pionnier et berceau de l’aviation civile et miliaire, étant pointé une vision de l’aménagement du territoire obsolète. Mais les critiques, aujourd’hui, viennent du secteur aérien lui-même. Le Board of Airlines Representatives (Bar) en France dénonçait récemment le « nombre pléthorique d’aéroports en France dont les coûts sont finalement supportés par les compagnies aériennes opérant dans l’hexagone sans bénéfice pour le transport aérien dans son ensemble ».

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Les aéroports français ne sont semble-t-il pas saturés, par conséquent, le maillage territorial étant très dense bien que partiellement inégal (à l’exception peut-être des deux grands aéroports parisiens de Roissy et Orly). Nombreux sont ainsi les députés souhaitant un aéroport pour le territoire dans lequel ils ont été élus, sous prétexte de développement économique, quoi qu’il en soit du besoin réel et du retour sur investissement. Mais cela est valable pour d’autres projets d’aménagement, tel l’a établi Jacques Marseille dans « Le grand gaspillage ». C’est l’éléphant blanc dans les années 70, Sylvie Brunait en ayant dressé la liste. Vous avez ici ou là des ouvrages immenses, sur le territoire hexagonal, qui ne servent à rien. Edouard Philippe a évoqué l’enclavement de Nantes, estimant qu’il faudrait fluidifier la circulation, en contre-partie de cet abandon du projet. C’est là un signal adressé à la maire de Nantes, entendant sa colère de façon très nette. La difficulté est de s’accorder sur ce qui serait envisageable, avec la question des liaisons ferroviaires entre Nantes et Paris et Rennes et Nantes. L’aéroport de Rennes aura droit à un agrandissement et il y a aura une petite compensation sans doute. Mais on n’est pas sûr que l’extension de l’aéroport de Nantes, présentée comme une contre-partie éventuelle, ne se réalise. Surtout dans le rapport du médiateur sur NDDL, un petit quodici stipule que cela règle le problème pour vingt ans, soit pour maintenant. Mais en 2037, peut-être va-t-on repartir pour un tour. Alors dans vingt ans, c’est certes dans quatre élections. Mais il n’est pas impossible que l’on en reparle, un jour. Cette décision semble irrévocable, dans l’immédiat. Il faut tourner une page, mais est-ce si simple que cela.

Ce projet datait, ne tenait pas la route. Mais l’intérêt de NDDL n’est pas lié uniquement au développement de Nantes, à la décentralisation, les élus locaux pointant du doigt Macron et son supposé mépris des territoires. Cela dit quelque chose sur l’évolution de notre économie, de notre société, de la façon dont on envisage l’avenir. Et ce qui s’est joué à NDDL, c’est comment on peut vivre la modernité. Et c’est ce qui explique également la motivation des zadistes à Notre-Dame-des-Landes, sur l’exemple de leurs prédécesseurs éleveurs du Larzac, jamais partis par la suite, se posant en gardiens du temple. Le changement climatique est important (quoi qu’il en soit des liens à établir avec), mais aussi la préservation de la bio-diversité, de nos terres cultivables, des zones humides. Et tous les élus diraient que oui, on doit se poser la question du développement du trafic aérien, de l’automobile, etc et de trouver d’autres moyens de développement de notre économie, plus harmonieuse, au XXIe siècle. Sur ce plan, Emmanuel Macron a du appuyer la décision d’Edouard Philippe à la marge, après la remise du rapport du médiateur. En effet, il s’est posé en tant que président « écolo » à l’échelle internationale et a pris Nicolas Hulot dans son gouvernement, à savoir sa prise de guerre et qu’il ne souhaitait pas perdre. Hulot aurait reçu négativement la nouvelle du maintien du projet.

En effet, NDDL posait une problématique qui est celle de l’aménagement du territoire (concernant un site classé rappelons-le, avec toute une faune et une flore protégée) et plus largement, celle du recul des surfaces agricoles, du recul des zones humides. La surface des sols artificialisés présente une hausse de façon régulière depuis 1992. On parle d’artificialisation du sol ou d’un milieu, d’un habitat naturel ou semi-naturel quand ces derniers perdent les qualités qui sont celles d’un milieu naturel. L’artificialisation s’accompagne généralement d’une perte de capacité d’auto-cicatrisation de la part du milieu (moindre résilience écologique). En 23 ans, l’artificialisation a augmenté de 36 % pour atteindre 51 603 km² en 2015, ce qui représente 9,4 % du territoire français. On observe sur la même période un recul de 7 % des terres agricoles, soit 0,2 % de baisse en moyenne par an, restant malgré tout majoritaires (couvrant 51 % du territoire). La part des zones boisées, naturelles, humides ou en eau est stable sur la période 1992-2015, représentant 39,6 % des sols de métropole en 2015 (alors qu’elle en représentait 38 % en 1992). Depuis 2015, les surfaces transformées en logements, commerces ou structures de loisirs ne cessent cependant d’augmenter. L’an dernier, 60 000 hectares de terres agricoles ont été urbanisés, dans l’hexagone.

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Un des objectifs de la Trame verte et bleue française (TVB / SRCE) est de limiter ce phénomène et en atténuer les conséquences. Parallèlement à la Trame Verte et Bleue, la Région Nord-Pas-de-Calais expérimente une directive régionale d’aménagement visant à lutter contre l’artificialisation du territoire par la périurbanisation. Nicolas Hulot évoque la création d’une redevance, étudiant une nouvelle source de financement qui aurait un intérêt double : lutter contre l’artificialisation des sols et contribuer notamment à financer la préservation de la biodiversité. C’est une réflexion proposée à Edouard Philippe récemment, qui l’a invité à y travailler. Sur le plan financier, un autre débat se pose entre l’Etat et Vinci, d’une autre nature. Les négociations ont commencé entre Vinci et le gouvernement pour savoir si le groupe de BTP sera indemnisé après l’abandon. Vinci a annoncé que le trafic de l’aéroport de Nantes a augmenté de 15% en 2017. Edouard Philippe l’affirme, l’aéroport de Nantes-Atlantique sera modernisé, optimisé. Mais rien n’est sûr. Au-delà de la décision politique s’ouvrira un autre volet économique et Philippe se heurtera aux riverains bien décidés à en découdre à Nantes. 

Sur le plan économique, le projet d’extension sera très compliqué. Et il faudra le financer, les élus locaux n’étant pas préparés, l’Etat devant présenter le projet, ce qui est en général assez long. L’extension de l’aéroport de Nantes était présentée comme un projet réalisable en deux ans. L’aéroport vient d’être transféré ailleurs, à priori, ayant d’autres problématiques se posant, soit rallonger la piste, étendre l’aéroport de Nantes, repartir pour un tour, aussitôt relancé, en voyant s’il n’y a pas de problème. Les riverains de l’aéroport de Nantes s’en alarment également. Un patelain près de Roissy, Goussainville, a été vidé de sa population par les nuisances sonores avec des maisons abandonnées et murées, le même phénomène se produisant dans une localité près de Nantes. On fait allusion à une nuisance graduée par les nouvelles technologies. Ce que l’on pense, c’est qu’un certain nombre de dispositifs techniques ont été pris. Tout n’est pas obligé de se faire à Nantes également, à côté il y a Rennes et Angers, à 1/2 d’heure de train. En 2037, on verra peut-être que les projections de trafics aériens seront beaucoup moins importantes, disent certains spécialistes. Sur le plan pécunier, Bruno Le Maire a bien l’intention de faire baisser la note, ayant reçu le PDG de Vinci. Et qui s’entendra avec l’Etat, vu le nombre d’appels d’offres auquel le groupe répond chaque année, étant déjà concessionnaire de l’aéroport de Nantes. Car le débat de la gabegie ne se fera pas.

Certes, cela coûtera environ 450 millions d’euros, le débat sur les APL touchant à 110 millions d’euros ! Mais en général, ces choses-là se résolvent, car il y a d’autres sujets de conversation, les élus locaux ayant quelques moyens de recours. Dans le cas de l’aéroport de Nantes, il y en aura, mais l’aéroport existe déjà et fonctionne. Sa modernisation coûtera plusieurs dizaines de millions d’euros, mais il y aura quand même des économies sur ce plan-là, car les infrastructures existent. Le débat portera sur les conditions, où il pourrait y avoir indemnisation suite à l’abandon du projet de NDDL, pour savoir en restant dans la légalité, comment défendre au mieux les intérêts de l’Etat. Jusqu’à 350 millions d’euros, c’est ce que l’Etat pourrait avoir à verser à Vinci, selon certaines estimations. Cependant, dans l’esprit de l’opinion publique, le fait d’avoir tranché est un immense progrès et occulterait le reste. La terrible gabegie a eu lieu avant, durant les 60 ans. Les 31 millions d’euros des collectivités locales ont été prêtés par ces-dernières et il était convenu que l’Etat les prennent en charge. Mais si les Français payent à la fin, il est vrai que cela serait plus compliqué. A défaut d’argent, l’Etat a d’autres arguments. Mais autre problématique soulevée, Vinci étant un aménageur puissant, n°4 au monde et n°1 en France, présent dans les partenariats public / privé, le groupe peut exercer, il est vrai, une forme de chantage. A savoir faire cela contre autre chose, ce qui pourrait aller à contre-courant des règles du marché public. L’aéroport de Nantes-Atlantique géré par eux, doit faire l’objet d’aménagements supérieurs à 350 millions d’euros, peut-être 720 millions d’euros selon certains experts, ce qui aurait été pire encore pour NDDL. Sans compter le coût politique, car il aurait fallu expulser les zadistes. La moyenne, c’est le double du prix. 

On parle d’argent public et ce qui est souvent assez choquant, c’est cette approche commerciale, ne connaissant probablement jamais les tenants et les aboutissants du sujet abordé. Les partenariats public / privé soulèvent le même problème. En revanche, vous reportez ce coût sur les décennies à venir, soit 40, 50 ans, par l’endettement, etc. Pour le ministère de la défense, l’ajout d’une prise de courant coûterait 10 fois ce qu’il coûte à n’importe quel entrepreneur. C’est mal négocié, un rapport comparatif pointant le surcoût d’une prison construite en partenariat avec l’Etat. C’est préoccupant pour un Etat qui n’a pas d’argent. Quand l’Etat construit lui-même une route, il n’y a personne dans la comptabilité publique. Cependant, il y a une grande transparence de la part de Vinci et c’est une entreprise qui communiquera, devra communiquer. Ce que l’on ne connaîtra pas, en revanche, ce sont les dessous de table d’autres négociations. Par exemple, il y a un projet d’ouvrir le capital des aéroports de Paris (ADP). Si l’Etat n’explique pas que Vinci présente une meilleure offre financière dans l’entrée au capital d’ADP, cela ne se fera pas. Et l’Etat sera feux fois plus sous surveillance depuis l’abandon du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), notamment par la Cour des Comptes. Vinci a de très bons juristes et sur un projet récent d’autoroutes, dans un différent avec Ségolène Royal, il y a eu un recours et il a été déterminé que ce contrat était illégal. Ce contrat est administratif et l’Etat peut le casser ou en rediscuter les conditions et cela varie d’un contrat classique. 

L’Etat peut mettre en avant un motif d’ordre d’intérêt général, d’ordre de sécurité publique, dans l’abandon du projet d’aéroport de NDDL. Aujourd’hui, tous les chiffres restent fantaisistes et cette négociation devra être transparente. Ce sont des montages un petit peu complexes aussi. Par contre, on sait qu’on trouvera très rarement ce type de sociétés dans des recours, parce que cela ne se fait pas non plus. Cela se règle autrement. L’indemnisation peut aussi être absente. Mais Vinci n’a aucune raison d’aller jusqu’au contentieux, au Conseil d’Etat, étant là question de s’en prendre juridiquement à l’Etat qui leur passe des commandes avec le risque de perdre. Par contre, une des contre-parties peut-être dans des contrats à l’étranger. Quand le chef de l’Etat effectue un déplacement officiel à l’étranger, il part très généralement avec les entrepreneurs de travaux publics, en Chine, en Inde, en Afrique du sud. Et là justement le gouvernement, le chef de l’Etat peut être un facilitateur pour passer des contrats. Vinci a décroché un contrat d’exploitation au Chili, celui de l’aéroport de Belgrade, exploite des aéroports au Japon, a racheté une entreprise de BTP en Australie, décroché un contrat de traitement de déchets en Allemagne et n’a donc pas vraiment attendu la décision de NDDL.  

                                                                                                                                                                                                            J. D.

 

2 octobre, 2015

« Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddéï – « Face à l’afflux de réfugiés, que faire ? »

Classé dans : Diplomatie,Europe,Monde,Politique,sujets de societe — llanterne @ 21:15

L’émission « Ce soir ou jamais », présentée par Frédéric Taddeï sur France 2, réunissait dans son dernier numéro, plusieurs personnalités, dont le philosophe Edgar Morin, le député (Les Républicains) Henri Guaino, l’économiste Jacques Attali, la géopoliticienne Béatrice Giblin, le philosophe et mathématicien Olivier Rey, ainsi que la journaliste Eugénie Bastié, pour débattre de la crise des migrants. Comme toujours dans cette émission, la tonalité était souvent subsersive, mais les échanges s’avéraient être sans langue de bois, enrichissant et instructifs.

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3 septembre, 2015

Les Balkany, le début de la fin ?

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Les époux Balkany ont été l’objet d’une mise en examen, d’une levée d’immunité parlementaire, de la saisie de leurs passeports et de saisies confiscatoires, il y a quelques mois de cela, en accord avec les juges. Et ces décisions de justice vont peut-être provoquer leur chute. Alors que leur reproche-t-on ? Est-ce la fin avérée ou non du couple Balkany, politiquement parlant, ces décisions de justice induisant cette question ? Est-ce abusif ou avéré ? Comment la justice, un jour, partant d’une affaire de commissions, a fini par mettre la main sur la totalité de leur patrimoine non-déclaré ? Quand connaîtra-t-on le dénouement judiciaire de cette affaire ? N’y aurait-il pas éventuellement un complot visant à s’acharner contre Nicolas Sarkozy, à travers l’un de ses amis, avant l’échéance de la primaire des présidentielles ? Quelle est la situation politique ? En tout cas, c’est un système de vingt, trente ans, qui s’est effondré, en quelques mois. Une page se tourne, c’est un peu la fin de l’empire (ou du moins le début de la fin), semblerait-t-il. Derrière ces trois propriétés des Balkany saisies par la justice, c’est toute l’histoire de ce financement, de corruption et de détournement éventuel des sociétés qui ont des marchés à Levallois, tout cet édifice-là que la justice est en train d’ébranler. Ce n’est pas la 1ère fois qu’elle s’y intéresse, à savoir à cet édifice et à ce patrimoine immobilier. A vrai dire, Patrick Balkany a déjà été condamné dans le passé, puis il a été réélu. La 1ère affaire Balkany a touché au fait, qu’ils confondaient personnel municipal et domestique, emmené par exemple, dans leur villa aux Antilles, l’ayant conduit à être condamné à une peine d’inégibilité. Comme cela arrive parfois, il a ensuite été réélu, ayant d’autres exemples d’élus condamnés par la justice, puis au fond adoubé par leur électorat, à droite comme à gauche. Là, l’affaire est plus grave, c’est d’une autre nature, les biens du couple Balkany ayant une valeur très supérieure à leur patrimoine déclaré, tout ce qu’il y a de transparent, ayant toujours été élus (conseiller général, maire, député).

Ainsi ont-ils été mis en examen, il y a quelques mois, sur des accusations de blanchiment de fraude fiscale, étant accusé de n’avoir pas déclaré une partie de leur patrimoine, au demeurant sans commune mesure avec leurs indemnités d’élus. Quoi qu’il en soit de la fortune familiale supposée des époux Balkany, le père de Patrick Balkany, ayant notamment lancé la chaîne de magasins de prêt-à-porter Réty. La propriété de 4 hectares en Normandie, dit du « moulin de Giverny », dont ils sont propriétaires depuis trente ans, donnée à leurs enfants, mais dont ils conservaient l’usufruit, leur permettait de déclarer que 150 000 euros au fisc. Cette fois-ci, ils sont saisis, le plus contraignant étant la levée de l’immunité parlementaire, ainsi que la confiscation du passeport, car il y a des risques de blanchiment ou de dissimulation de patrimoine, si les Balkany se rendent à l’étranger. Il n’a pas vu arriver, venir ce coup fatal qu’on lui porte aujourd’hui. Et qui est le mode de traitement appliqué à tous les voyous de droit commun, qui ne craignent nullement la prison, mais surtout que l’on touche à leur argent.Tout cela met évidemment en cause leur mode de gestion de la ville de Levallois-Perret, dont ils sont élus depuis 1983, tous les deux, avec une parenthèse d’un mandat. On a l’impression que les Balkany appartiennent à une autre époque. Celle où les Hauts-de-Seine étaient un empire et sur lequel régnait d’abord un certain Charles Pasqua, puis un certain Nicolas Sarkozy, avec des personnages, des barons, nous pourrions dire, du type de Patrick Balkany, comme André Santini à Issy-les-Moulineaux, les Ceccaldi-Raynaud à Puteaux, dans des communes souvent à gauche, socialistes voire communistes dans l’après-guerre et conquises par le RPR ou l’UDF au début des années 1980. Cette banlieue ouest, ancien département de la Seine (75), devenue les Hauts-de-Seine (92) a été populaire.  

Nous le savons, Levallois est une ville tout à fait limitrophe de Paris, donc les terrains immobiliers ont une valeur considérable. C’est la ville la plus endettée de France, mais c’est en même temps une commune où il y a des sièges sociaux (Alstom, Butagaz, Guerlain, L’Oréal, Plastic Omnium, GMF, Lagardère, Constantin Associés…), qui a des revenus pouvant justifier cet endettement. Balkany a été réélu, étant indéniable qu’il a transformé cette commune. Il en a fait la ville des classes moyennes, des cadres, avec des crèches partout, des centres sportifs, des associations sportives, mais au prix d’un endettement énorme, qui devra être payé, un jour, par les citoyens de Levallois. Il y a trente, quarante ans, Levallois était une ville de gauche, communiste, avec des taudis partout, des hôtels, des bars de voyous. La firme Citroën y occupe dès 1929, l’ex-usine « Clément-Bayard » (70 000 m²), sur les quais de Seine (fermée en 1988), où sera fabriquée la fameuse « 2 CV ». C’était également jusque dans les années 1960, le repaire des taxis, où se trouvait leurs garages, les 1ères compagnies s’y étant développées (G3, G4, G7, Société Degioanni). Durant ses deux premiers mandats, Patrick Balkany a contribué à la profonde mutation de Levallois-Perret, en transformant les zones industrielles déliquescentes ou en friche (occupant près d’un quart de la superficie de la ville) en quartiers résidentiels et de bureaux. Il a fait venir une nouvelle population, ce qui signifie de nouveaux électeurs, leur offrant les services dont elle avait besoin. Dans sa chanson Levallois, Florent Marchet et dans 99 Francs, Frédéric Beigbeder la citent comme l’archétype des années 2000 de la ville de première couronne parisienne, refuge d’une jeunesse médiocre (emplois tertiaires dans la capitale), de droite (non-boboïsée), contrainte de quitter Paris à cause des prix de l’immobilier pour y installer leur famille. A ce titre, c’est toute la partie nord des Hauts-de-Seine qui a changé, au tournant des années 80. Soit un Etat dans l’Etat en France et dont le PIB est équivalent à celui de la Grèce avant 2008 et de beaucoup de petits pays européens. Parce qu’il y a notamment ce quartier d’affaires de la Défense, érigé à partir des années 1960 sur des terrains vagues ou en friche et couvrant plusieurs communes des Hauts-de-Seine (Puteaux, Courbevoie, Suresnes, Nanterre), où sont domiciliés de nombreux sièges sociaux d’entreprises payant leurs impôts locaux. Et le plus souvent géré par des mairies de droite, qui étaient de gauche à l’époque, sans transparence sur les affaires de financement de partis politiques et avec beaucoup à faire sur le plan immobilier. Levallois-Perret regroupe près de 4 500 entreprises et commerces pour près de 60 000 emplois, les experts en géographie économique rangeant cette ville dans le « Croissant d’or » désignant en outre les communes d’Issy-les-Moulineaux, Boulogne-Billancourt, Neuilly-sur-Seine, Clichy, les arrondissements de l’ouest de Paris situés sur la rive droite de la Seine. De nombreux sièges sociaux de grandes entreprises  s’y concentrent, sa proximité avec le quartier d’affaires de la Défense privilégiant cet espace économique. 

C’est comme cela que ces communes se sont complètement transformées architecturalement et sociologiquement. Et cela fait longtemps, à vrai dire, que la presse et la justice suspectent Patrick Balkany de monnayer les terrains immobiliers, de faire de l’argent et d’avoir constitué une fortune. Et puis reste la façon, dont il a usé de son pouvoir d’influence, puisqu’il a aussi fait des affaires en Afrique noire, notamment lorsque Nicolas Sarkozy était président, par sa proximité et son amitié présidentielle. C’est la 1ère fois que la justice arrive à démonter le système. Mais le choc frappant Balkany vient d’abord de son propre camp, de l’intérieur, non des juges, des médias, mais essentiellement de l’un de ses anciens camarades de jeux, à savoir Didier Schuller. Mêlé à l’affaire du financement du RPR et des HLM de la ville de Paris, Schuller a tout pris au procès, en présence de Balkany, sans rien dire. Il y avait deux offices HLM à Paris, dont un finançant le RPR au travers un système de pots-de-vin versés contre l’octroi de marchés publics. C’est la vengeance de Schuller qui a changé les choses, à savoir son clone. Il y a trente ans, il devait prendre la mairie de Clichy, voisine de Levallois. C’est tout un périmètre, Levallois faisant 1km de long sur 1,5 km de large, soit de tous petits rectangles aux portes de Paris, entre la Seine et le périph’ (les portes de Champerret et de Levallois), où tout était à faire en immobilier. Didier Schuller s’en va en cavale en République dominicaine, sa vie étant, au fond, détruite, ayant perdu de son aura. Et vingt ans plus tard, étant revenu, en révélant tout ce qu’il savait, il a mis la justice sur la piste, lui ouvrant une porte d’entrée sur le système Balkany. Cette mise en examen signe le début des gros ennuis pour Patrick Balkany. Quelques mois plus tard, les députés « Les Républicains » ont voté la levée de son immunité parlementaire, étant un signal très simple et clair, signifiant que personne n’a voulu bloquer le travail de la justice. Les Balkany devenaient peut-être un boulet pour la droite, à l’approche des élections régionales.

Dès lors, Balkany aura du mal à se relever, du moins, nous le pensons. Cela dit, on se méfie. Cela fait vingt ans que l’on parle de sa fin, sa chute. Effectivement, il est dans le tourbillon de la justice depuis trente ans, Patrick Balkany ayant été élu quatre fois maire, au travers un système bougrement clientéliste. Il y a la justice et la démocratie. Ces élus retournent devant leurs électeurs, à chaque fois et s’ils s’avèrent talentueux, ces-derniers redonnent leurs voix systématiquement. L’inégibilité est fixée un temps, par le juge, un élu pouvant avoir une 2e ou une 3e vie politique. Alors qu’un fonctionnaire d’autorité ne le peut, car étant révoqué. En Allemagne, lorsque l’on a été condamné par la justice, on ne peut se représenter. Moralement, les partis politiques pourraient établir une limite. Le suffrage universel a une valeur autre dans l’hexagone. C’est heureux pour certains, pas pour d’autres. La levée de son immunité parlementaire ne signifie pas qu’il ne puisse plus continuer à siéger et il continue et continuera à siéger. Il n’est pas impossible s’il se représente aux prochaines élections municipales, qu’il soit réélu. Des associations anti-corruption réclament déjà davantage, certains souhaitant sa démission de son poste de maire de Levallois, en vertu d’un décret du code des collectivités territoriales touchant à la destitution d’un maire dont l’autorité morale a été entachée. Des associations de contribuables levalloisiens peuvent se constituer également partie civile, s’ils se sentent floués. Le gouvernement peut aussi destituer le maire de Levallois-Perret, en conseil des ministres, ce qui serait un signal fort.

En tout cas, en attendant, la justice poursuit ses investigations. Pour le moment, ce sont des juges d’instruction qui sont saisis. Si l’on suit les affaires politico-financières depuis longtemps, ce qui surprend, c’est la rapidité de la saisie de ces biens. Le pire pour le couple, c’est que la justice ait ordonné la vente de leur villa « Pamplemousse » à St-Martin, aux Antilles, allant directement à l’Etat. Balkany utilise des prête-noms dans l’acquisition de ces propriétés aux Antilles et au Maroc, sans parler de sa maison de Giverny, comme Cahuzac l’a fait, afin de détourner la rigueur du fisc. Mais aussi comme Mitterrand qui a acheté un domaine dans le Lubéron, sous un prête-nom, la propriété de Gorde, mais au bénéfice d’Anne Pingeot et de Mazarine et non pour des raisons fiscales. Patrick Balkany n’a pas inventé ce système. Il est aussi « victime », entre guillemets, si l’on peut dire, de l’affaire Cahuzac, et de la GRASC, ayant épluché ses déclarations de revenus. Cette agence a été le fruit d’une loi portée par Nicolas Sarkozy en 2010, mise en application en 2011, le but étant de toucher les truands, la pègre, de la déstabiliser, permettant de saisir, puis de vendre des biens acquis frauduleusement, sans attendre la décision de justice. En Italie d’où vient ce modèle, c’est une méthode efficace pour lutter contre la mafia. Si l’on est sourcilleux sur la procédure judiciaire, tant que la décision de justice n’est pas rendue, on est réputé innocent, que ce soit M. Balkany ou un 1er communiant, ce-dernier constituant une cible médiatique et judiciaire. Il est victime de ces lois, de cette agence, qui a été créé pour lutter contre le crime organisé, à l’origine. Mais la justice n’a pas tranché définitivement, des recours sont possibles. La déclaration des époux Balkany est frauduleuse, ce qui est facile à démontrer. Mais le problème est de savoir d’où vient l’argent et là-dessus, la procédure peut s’établir sur des mois, voire des années. Effectivement, si cela vient de montages, de portages d’affaires, de commissions occultes avec des circuits internationaux, pour les juges, cela va être compliqué à dénouer et à établir.

Il est su que Patrick Balkany a acquis une mine d’uranium en Afrique noire, un industriel belge lui ayant versé une commission réclamée contre son exploitation, sous la forme de deux virements depuis son compte en Suisse, vers un compte numéroté domicilié à Singapour. A l’époque des espèces, il n’y avait pas besoin de ces montages complexes. Mais avec le temps, il a fallu monter ces écheveaux de sociétés, avec à priori passage vers des paradis fiscaux, afin de perdre la justice française. Nicolas Sarkozy a été touché de plein fouet, ayant des prétentions politiques, perdant un nouvel ami et soutien par des compromissions, après Claude Guéant. Et il ne pourra s’imperméabiliser totalement vis-à-vis de cette affaire, même s’il reste silencieux. Balkany a conquis la mairie de Levallois grâce à Sarkozy. Il en a toujours rajouté d’ailleurs dans la mise en avant de cette amitié, car cela servait ces intérêts. Les Balkany sont le sparadrap des années bling-bling, l’ayant toujours été. Durant cette période noire où Cécilia Attias était en train de quitter Nicolas Sarkozy, c’est Isabelle Balkany qui a fait le lien. A sa décharge, Sarkozy ne l’a jamais fait ministre, Balkany ayant toujours rêvé d’obtenir le portefeuille de la coopération, par ses liens avec l’Afrique. Ayant même, paraît-il, claqué la porte de son bureau de l’Elysée, quand il avait appris qu’il ne serait pas ministre. Balkany a été un soutien, un ami de jeunesse, une relation de vingt, trente ans, notamment par leurs origines hongroises communes, du côté paternel. Mais Sarkozy l’a toujours confiné à Levallois. Tout en lui donnant un passeport diplomatique, ce qui lui a permis de beaucoup voyager en Afrique et de multiplier les affaires occultes. Il jouait le rôle de conseiller de l’ombre, au sujet de l’Afrique. Mais il y avait tout un halo d’affaires autour de lui.

Sous le quinquennat précédent, vers la fin, il se disait que la mairie de Levallois fonctionnait comme un Matignon bis et que les réseaux y manoeuvrant étaient plus puissants qu’à Matignon même. En tout cas, il est certain que Nicolas Sarkozy, qui semble être fidèle en amitié, prendra sur le plan officiel plus de précautions, pour ne pas le prendre dans son entourage immédiat, dans le cadre de son retour en politique. Mais l’un des développements de cette affaire n’est pas moins spectaculaire, l’un des avocats proche de Sarkozy – à savoir celui de la ville de Levallois – étant soupçonné d’avoir orchestré l’évasion fiscale du couple Balkany, aujourd’hui mis en examen, ce qui fait une deuxième-troisième fuite. Cette affaire en rajoute à l’eau du moulin du « Tous pourris », que ce soit à droite ou à gauche. Une législation oblige les élus à rendre transparent leur patrimoine. Mais encore peuvent-ils mentir, ce qui est le cas de Balkany, et là, des enquêtes sont diligentées. Aucun élu n’est comparable à un autre, comme Jérôme Cahuzac, ministre des finances et dissimulant son patrimoine au fisc, ce qui est exceptionnel dans son profil. Dans une approche subliminale, le fait que l’on gagne moins bien sa vie dans le public que dans le privé induit peut-être aussi, en partie, l’écrasante médiocrité de la plupart de nos élus, par un processus de sélection naturelle. Certes, on ne fait à priori pas fortune en faisant de la politique. Quoi qu’il en soit de leurs qualités réelles ou supposées, la plupart des élus sont constamment sur le terrain, sollicités par leurs électeurs, pour des indemnités sommes toutes pas faramineuses, se lançant plutôt dans cette voie par passion que pour s’enrichir, au départ. Bien qu’il y ait des brebis galeuses, mais qui restent minoritaires, toutes proportions gardées.

Les époux Balkany ne sont pas encore en prison, c’est loin d’être le cas. Nous en sommes au début, c’est une mise en examen. Mais la justice est longue, car le montage est complexe, les Balkany ayant un très bon avocat, ils vont tout faire pour en retarder l’échéance. Il y aura un renvoi en correctionnel, un procès, un 2e procès en appel. Nous devrons certainement attendre deux ans, trois ans, quatre ans, pour en évoquer l’issue. Ce n’est pas la fin, mais peut-être le début de la fin, car il est su que beaucoup d’autres affaires couvent à Levallois.

                                                                                                                                                                                        J. D.

 

5 août, 2015

La colère est dans le pré

Classé dans : Economie,Europe,Politique,sujets de societe — llanterne @ 16:02

Le gouvernement a annoncé sous la pression un plan d’aide de 600 millions d’euros, en tout et pour tout et une revalorisation du prix du lait et du porc breton (revu finalement à la baisse), face à la colère des agriculteurs ayant bloqué le Mont Saint-Michel et menaçant prochainement de manifester à Paris. Mais en tout cas, ce plan est jugé insuffisant par les intéressés. Pourquoi notre filière agricole est-elle en crise ? Qui paiera ces mesures ? Dans une économie de marché, est-ce à l’Etat d’intervenir systématiquement ? Notre structure économique, avec ces charges, nous permet-elle d’être compétitif ? Autant de questions sont soulevées, autour de ce mouvement, la crise agricole actuelle étant le miroir de la crise hexagonale.

Cela fait des décennies qu’on nous parle de la « désertification » de nos campagnes, de la disparition de nos exploitations, de l’agonie de la plupart de nos filières agricoles. Ainsi, dans une approche sociologique, la question est de savoir si l’on peut vivre avec environ de 15 à 18 000 euros de revenus / an, quand l’on travaille de 12 à 15 heures / jour, sans souvent de congés. Sur le plan structurel, des questions peuvent se poser, notamment celle de la taille de nos entreprises agricoles, du caractère hyper-administré de l’agriculture en France, qui fait que nous ne sommes pas préparés à cette compétitivité mondiale effrénée. Depuis l’après-guerre, les gouvernements successifs ont géré les malheurs de nos paysans, grâce à un système présenté comme obsolète, dominé notamment par la FNSEA (fondée en 1946), à savoir un syndicat majoritaire tenant les Chambres d’agriculture, le Crédit agricole, les Safers, les coopératives, la protection sociale. Mais ce monopole favoriserait le népotisme, le président de la FNSEA locale réservant parfois à ses petites relations les prêts, les meilleures terres, les meilleures ventes, contrôlant tout, du foncier à la vente de la production, en passant par les crédits. Ce système serait l’un des premières causes de la catastrophe, ce qui mériterait bien-sûr de plus longs développements. Et puis, bien sûr, il y a tout le reste, « c’est-à-dire cette «  exception » française garottant, à coup de charges insupportables et de règlementations – le plus souvent – absurdes, tous ceux qui tentent d’entreprendre quoi que ce soit dans le pays, dans n’importe quel domaine », tel l’analysait récemment dans un article, le journaliste Thierry Desjardins.

En France, cette économie agricole est productive et cela alors que la population agricole diminue, avec moins de 600 000 agriculteurs contre un million en 1986, avec alors une production de 40 % inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. L’agriculture américaine est devenue le premier client d’Enron, par exemple, c’est-à-dire que l’on utilise toutes les nouvelles technologies pour augmenter considérablement la production. En France, nous avons un secteur très productif qui souffre de deux problèmes, à savoir que des sous-secteurs sont très productifs, mais que d’autres sont très en retard. Quand le président de la République se rend à Vinexpo, il dit aux producteurs présents, « vous êtes une des sources de revenus les plus importantes », étant vrai que l’excédent agricole porté par le vin et les spiritueux français est parmi les plus importants de nos excédents commerciaux. C’est le 1er secteur exportateur en France devant l’aéronautique – mais le 2e solde commercial derrière ce-dernier -, porté par les céréales, le vin, et une autre agriculture qui est plus de proximité, autour du lait. Quand l’on regarde le revenu des agriculteurs, une partie passe par les prix et une partie par les subventions. Dans l’économie hexagonale, l’agriculture représente 58 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 50 milliards par les prix et 8 milliards par les subventions de la CEE. Donc il y a un arbitrage entre ce que l’on fera passer par les prix, ce que l’on fera passer par les subventions et dans le choix qui est fait, c’est quelle vision de l’agriculture l’on a. A cet effet, toute une partie de notre élite dirigeante cultive une vision assez négative de notre agriculture induite par un discours un petit peu mondain germanopratin de l’agriculteur pollueur. Et donc l’arbitrage entre les prix et les subventions est lié à la fois à la compétitivité, au commerce international et à cette ambiance étrange et délétère entretenue entre les Français et l’agriculture.

On peut se demander pourquoi plutôt que de bloquer les ponts et les routes, les agriculteurs ne s’en prennent pas aux industriels ou aux distributeurs qui leurs nuisent, voire aux sous-préfectures. Le blocage est un coup de gueule pour être entendu vraiment, mais ce n’est pas le seul type d’opération entreprise, certains agriculteurs étant en observation, par exemple, depuis des mois, afin de vérifier la provenance des produits carnés et laitiers dans la grande distribution. Le problème réside dans les coûts de production et la compétitivité vis-à-vis de nos pays voisins, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, l’Espagne, donc nos partenaires européens. En Espagne, les coûts de production sont plus faibles. Car ce qui compte après, c’est la transformation du porc, l’Allemagne ayant fait le choix de faire appel à des intérimaires précaires, roumains, polonais ou autres, par exemple, dans les champs et les abattoirs, qu’ils conservent à bas coûts, quatre à cinq mois, puis faisant appel à d’autres. Sur le marché du porc breton, à 1,3 euros le kilo, les prix espagnols sont quelques centimes plus bas, les prix allemands à 4 centimes de différence, en intégrant tous les intermédiaires et le coût salarial de l’abatteur. Dans l’UE, on ne peut forcer le consommateur français à acheter français. Par contre, les industriels demandent une harmonisation des coûts de main-d’oeuvre dans les abattoirs. Les producteurs voisins ont des infrastructures plus importantes, les normes sanitaires sont plus sévères en France qu’en Allemagne. Pour construire une porcherie, avec le même caractère productif et polluant, en Allemagne, il faut demander une autorisation au-delà de 2000 porcs. En France il faut en demander une, qui est longue et coûteuse, au-delà de 450 porcs… 

Nous avons l’impression d’entendre au sujet de l’agriculture, les complaintes portées dans d’autres secteurs d’activités, en France, soit des charges plus élevées et des normes plus complexes qu’ailleurs. Cette filière agro-alimentaire française – les abattoirs, les laiteries, etc. – qui est immense, et reconnue dans le monde, avec un label qualité, est à défendre, à promouvoir. L’agriculture devient l’un des grands défis de demain, avec aujourd’hui 7 milliards d’habitants à nourrir. La PAC a été peu à peu détricotée, sans filet de sécurité et de mécanisme d’achat. Les quotas laitiers (instaurés en 1985) ont été supprimés, au printemps dernier. Sur le plan historique, nous avons eu une 1ère période où nous ne produisions pas assez de lait, dans l’immédiat après-guerre. On se souvient du lait Mendès France, distribué dans les écoles primaires. Puis la génération d’après se remémore qu’il y avait une production laitière devenue trop importante, donc la CEE l’achetait et le stockait sous des formes diverses et variées. Puis il y a eu cette régulation par les quotas laitiers. Et maintenant, nous sommes dans une situation où on a libéralisé le commerce du lait. Un paysan sur deux en Europe est polonais, roumain ou bulgare aujourd’hui, alors qu’en 1950, c’était le paysan français, d’où la redéfinition de la PAC, liée à l’évolution de notre agriculture et à l’entrée dans le marché commun des nouveaux pays entrants en 2004 et 2006. Et depuis dix ans, ce qui s’est immiscé dans ces marchés, c’est la volatilité pour des raisons x, y, z, car tous les pays veulent rentrer dans cette course à l’alimentation mondiale, sans régulation, au travers une activité très capitalistique (bâtiments, tracteurs, animaux, etc…), le niveau de rentabilité étant plutôt faible. Il faut investir beaucoup, ce qui fait qu’en cas d’à coûts des prix, si cela dure trois ans, l’agriculteur ne peut faire face.

Il faudrait permettre le regroupement d’exploitations entrepreneuriales, devant sortir de toutes les autorisations administratives pour s’installer ou augmenter et même pour racheter la ferme d’un voisin, en passant par la Safer (gérant le foncier), soit toute une demande très administrée. Aujourd’hui, un producteur laitier passé de 500 à 524 vaches doit payer des amendes excessives. Une ferme de 70 vaches laitières subit des normes qui seront les mêmes. L’espace, la climatisation sont meilleurs que dans des exploitations n’ayant pas les moyens de se développer et de s’équiper. Ces porcheries devraient être rassemblées, nécessitant une grande surveillance, en regroupant des exploitations, permettant de partager le travail, de mutualiser les investissements, etc. Mais il y a la place aussi pour des modèles plus artisanaux, comme dans le Cantal. Des mécanismes de régulation sont à réinventer, non plus dans les politiques publiques européennes, mais entre agriculteurs et acteurs économiques. En nouant des contrats tripartites entre producteur-transformateur-distributeur qui permettent de partager des coûts d’investissements, sur des volumes négociés, intégrant des coûts de production franco-français avec des normes. En aval, un certain nombre de points pourrait être défini avec la distribution, dans la promotion de la qualité et l’origine (avec la labellisation et le sticker « viande de nulle part », portant son effet sur le consommateur, comme l’analyse l’économiste Philippe Dessertines). Le consommateur est prêt à faire un choix, l’alimentaire touchant à quelque chose de très fort, du point de vue psychologique. 80 % de ce que vous mangez, a été produit en France (avec un label Unesco). Mais notre production doit s’adapter et notre structure économique ne nous permet pas d’être compétitif, dans une économie dérégulée. Lorsque l’on parle des intermédiaires, il y a enfin la guerre des enseignes et donc des prix. Les grands distributeurs font un profit (des marges de 15 % entre 2013 et 2014 sur la viande bovine). Les quatre principaux se sont regroupés récemment pour être plus efficaces, en mutualisant leurs centrales d’achat, et étant tout seul, Leclerc s’étant mis avec un Allemand. Quand dans le même temps les revenus des agriculteurs a diminué de 20 %. Si le pouvoir d’achat n’était pas si bas, sûrement les Français achèteraient plus facilement de la qualité.

Défendre les éleveurs, c’est aussi se souvenir que la France a très longtemps été une nation paysanne. La population rurale n’a cessé d’être majoritaire que dans les années 1950, alors qu’en Allemagne ce fut le cas au début du XXe siècle. A ce titre, 86 % des Français appellent à plus de solidarité avec les éleveurs. C’est défendre l’enracinement, le terroir, à savoir la classique posture barrésienne. Le secteur primaire est par essence celui des entreprises à taille humaine, et son développement et son épanouissement passent par la mise en oeuvre des principes de l’économie sociale. Comme le déclarait Jules Méline, ministre de l’Agriculture, lors d’une discussion à l’Assemblée nationale, le 10 mai 1890, et notamment du système de coopération en agriculture, au delà du seul système de crédit. Sur le plan historique, alors député des Vosges, Jules Méline se voit confier le portefeuille du ministère de l’Agriculture par Jules Ferry en 1883, se consacrant à sa tâche avec beaucoup de conscience. Car c’est alors la période difficile de la « crise agricole », marquée par la baisse des prix due à la concurrence des pays neufs. Si Méline fait établir des droits de douane sur les céréales, et plafonne les prix du grain, il aperçoit bien à l’origine les limites de cette solution et il désire améliorer parallèlement la rentabilité des exploitations. Il contribue activement dans ce sens à l’organisation du crédit agricole. Ayant évolué politiquement vers le centre droit, il est encore ministre de l’Agriculture en 1915, et vit jusqu’en 1925, profondément vénéré des ruraux. On lui a beaucoup reproché depuis lors l’orientation défensive qu’il a donné à la politique agricole française, et le terme de mélinisme a pris, non sans quelle injustice, une tonalité péjorative. Il est vrai, après ce n’est peut-être pas à l’Etat d’intervenir systématiquement, dans une économie de marché. Mais il faut rappeler qu’aux Etats-Unis, pourtant un pays libéral, l’Etat intervient systématiquement en faveur de l’agriculture, n’ayant toujours pas aboli le Buy American Act de 1933, et n’hésitant pas à imposer des normes sanitaires qui, de facto, bloquent les importations, comme pour les fromages au lait cru. Et sans l’intervention de l’Etat, l’agriculture japonaise n’existerait plus (la plus subventionnée au monde), car aucun pays ne veut abandonner sa souveraineté alimentaire.

Hollande, Valls et Le Foll (sans doute le ministre de l’Agriculture le plus médiocre, à part Edith Cresson, que nous ayons eu depuis le début de la Ve République, ayant même refusé de se déplacer pour rencontrer les agriculteurs, au début de la crise) annoncent ainsi dans la précipitation des plans d’urgence, quelques millions d’euros à la volée, des réunions de concertation, des commissions. Clémenceau disait « quand je veux enterrer un problème, je crée une commission ». Mais ce n’est évidemment pas avec quelques subventions supplémentaires et quelques facilités de paiement qu’on sauvera l’agriculture française – ou du moins les plus petits producteurs – face à la concurrence européenne et mondiale, et surtout face à elle-même. Le contribuable et le consommateur paieront à double titre, outre une légère hausse de prix, au travers la répercussion de l’aide d’Etat dans l’allongement de la dette. Mais ce ne sont pas des réformes structurelles, c’est là que le bas blesse. Les agriculteurs veulent simplement que le pouvoir tienne (au moins un peu) toutes les promesses qu’il leur a faites il n’y a pas si longtemps et pouvoir continuer à nourrir leurs concitoyens, comme cela a toujours été leur mission sacrée. C’est-à-dire, au moins, qu’il abaisse les fameuses charges les asphyxiant, qu’il règlemente la distribution et qu’il régule, dès que la concurrence européenne et / ou mondiale devient par trop déloyale.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         J. D.

31 mai, 2015

Cette ridicule panthéonade…

Classé dans : Politique,sujets de societe — llanterne @ 2:19

Sans avoir, loin s’en faut, le talent oratoire d’un prédicateur tel Bossuet, François Hollande est passé spécialiste de l’oraison funèbre. Depuis janvier dernier, le drame de Charlie Hebdo et de l’épicerie cachère de la porte de Vincennes, à grand renforts de formules creuses, il n’arrête plus de s’incliner devant la mémoire des victimes du présent et du passé. Tout est bon pour lui, pour tenter de gagner quelques points dans les sondages. Dans cette lignée, l’entrée au Panthéon de quatre figures de la Résistance, mercredi dernier, vient s’inscrire dans les précédents hommages, cette fois-ci en ré-exhumant les fantômes de l’occupation et de la résistance. Seulement, n’est pas Malraux qui veut.

Le but de la panthéonade, selon le néologisme ironique de Régis Debray, est de rendre hommage à une personnalité de nationalité française dont l’oeuvre et l’existence ont marqué l’histoire de France. Cette tradition se veut aussi un moyen, pour le pouvoir en place, de placer sous les projecteurs une période de l’histoire et de tenter d’y graver son empreinte. Le journaliste torturé par la Gestapo, Pierre Brossolette ; la fondatrice d’ATD Quart-Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, et l’ethnologue Germaine Tillion, toutes deux déportées à Ravensbrück ; le ministre du Front populaire Jean Zay - à l’origine de l’ENA, dès l’entre-deux-guerres -, assassiné par la Milice à l’image de Georges Mandel. Ces deux femmes et deux hommes incarnent l’esprit de la Résistance, bien que plus méconnus que n’a pu l’être Jean Moulin. Le Panthéon, dont le fronton proclame la devise « Aux grands Hommes, la patrie reconnaissante », n’accueillait jusqu’ici que deux femmes sur soixante-onze personnalités, la physicienne Marie Curie, et Sophie Berthelot, en sa qualité d’épouse du chimiste Marcellin Berthelot. Ces quatre figures de la Résistance sont entrées au Panthéon - dont deux symboliquement, par refus des descendants, les cercueils étant vides -, ce mercredi 27 mai, suite à des cérémonies d’hommage débutées la veille.

Le cortège funèbre a traversé la capitale, en empruntant le chemin de la libération de Paris. Parti de la porte d’Orléans, il a parcouru l’avenue du Général-Leclerc, l’avenue Denfert-Rochereau et le boulevard de Port-Royal. Après un hommage organisé par la Mairie de Paris place Camille-Jullian, le cortège a rallié la Sorbonne, pour une veillée dans la cour d’honneur, avant d’entrer au Panthéon en cortège, le lendemain après-midi. Sous la Ve République, la « compétence de panthéonisation » est transférée au Président de la République. Elle s’avère une arme redoutable, forte en symbole. A cet effet, une entrée au Panthéon s’accompagne toujours d’un grand discours du chef de l’Etat. C’est en tout cas, ce que nous attendions de François Hollande, et évidemment lui aussi. Tout le monde y avait pensé, et l’attendait au tournant, que ce soit les journalistes, les politiques, les spectateurs. « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège… », nous entendions encore la voix chevrotante de Malraux, à la fois émouvante et ridicule, le 19 décembre 1964, un autre grand résistant faisant son entrée au Panthéon, accueilli par ce fameux discours, dans cette ancienne église construite sous Louis XV, devenue grand temple républicain sous la IIIe. C’est le souffle lyrique des mots, l’histoire qui vous étreint, la seconde guerre mondiale, l’occupation, la résistance, la torture, la mort. L’histoire serait son truc, nous murmure les communicants, depuis des jours, au sujet de Hollande. Les grands mots étaient tous de cérémonie, aussi bien alignés que les cercueils. Toutes les familles politiques étaient honorées, même les royalistes, qui furent souvent les premiers à s’engager dans la résistance, il est vrai, en dépit du pétainisme affiché de Charles Maurras et d’une partie des camelots de l’Action française.

Et il ne manquait rien, sauf l’essentiel, à savoir le style, le talent, l’âme. Ainsi, le texte était à la fois solennel et ennuyeux, insipide et soporifique, l’auteur butant sur les mots et les syllabes, comme absent, du moins sans lyrisme aucun. Sans souffle, ni force, ni vigueur, lisant ses notes, François Hollande employait une tonalité excessivement convenue, en passant par les parallèles mal établis avec l’actualité. Souhaitant s’inscrire dans le temps présent, il a ainsi assuré que l’ethnologue Germaine Tillion « serait dans le camp des réfugiés qui accueillent les exilés de Syrie et d’Irak », qu’elle appellerait à la solidarité pour les chrétiens d’Orient, qu’elle se serait mobilisée pour retrouver les filles enlevées par Boko Haram, dans le nord du Nigéria. Seulement voilà, quand Malraux évoquait Carnot et Victor Hugo, Hollande pensait à ses électeurs, « la solidarité n’est pas l’assistance » ou « quand il y a des ratés d’intégration, ce n’est pas la faute de la République, mais faute de République ». Nous passions de Victor Hugo à Séguéla, de Chateaubriand à Marc Lévy, pour reprendre une formule d’Eric Zemmour. Ainsi, Hollande ne semblait pas habiter son texte, ni vivre cette grandiose histoire. Ce n’est pas parce qu’il est incapable de nous annoncer la moindre bonne nouvelle, ni à propos de l’inversion de la courbe du chômage, ni à propos de la réduction de nos déficits publics, ni à propos d’une baisse de nos prélèvements obligatoires, qu’il doit maintenant se cantonner dans la morosité la plus morbide et les hommages à  toutes les victimes de la planète, du présent et du passé.

Pendant l’Occupation, comme le rappelait le journaliste Thierry Desjardins dans un récent billet, les Allemands avaient cru faire plaisir aux Français, en leur rendant les cendres de l’Aiglon, le fils de Napoléon, transférées de Vienne aux Invalides, par un hiver glacial. Les Parisiens avaient alors murmuré « Moins de cendres et plus de charbon ». Il est vraisemblable qu’aujourd’hui, un grand nombre de nos compatriotes, sans parallèle hasardeux - les chômeurs, les précaires, les exclus, les petits bourgeois des classes moyennes accablés d’impôts - ont envie de murmurer « Un peu moins de sonneries aux morts, un peu plus de travail, un peu moins d’impôts ». Bien que prétendant s’intéresser aux jeunes, à savoir les 25 à 35 % des 16-35 ans errant dans notre société, sans aucun espoir d’y trouver leur place, le président s’imagine sans doute, qu’en ré-exhumant ces figures estompées du siècle passé, d’il y a soixante-dix ans, il redonnera espoir à la jeunesse française. Un chef d’Etat doit se tourner vers l’avenir, fixer un cap, l’annoncer clairement et faire preuve d’une certaine volonté. Or, après près de trois ans de vacuité du pouvoir, d’impuissance la plus totale émanant de la tête de l’exécutif, ce pauvre Hollande n’ose plus nous promettre quoi que ce soit, ne sait où donner la tête et se tourne vers les pages les plus noires de notre passé. Ou les pires drames de notre présent, comme pour nous convaincre qu’il y aurait pire que ce que nous vivons, au quotidien, bien ce ne soit pas ce que nous lui demandons, ni ce pour quoi il a été élu. Cherchant désespérément à remonter un tant soit peu dans les sondages, avant la prochaine échéance électorale des régionales, il s’imagine bien naïvement qu’en investissant le terrain du « devoir de mémoire », il réinvestira sa fonction, mais hélas, sans le charisme, ni le lyrisme adéquat.

Tout cela sonnait absolument faux et creux. Il avait choisi la résistance, pour se hisser à la hauteur des plus grands, pour nous refaire le coup du 11 janvier. Ces prédécesseurs avaient été plus prudents ou plus malin. Chirac avait pris Alexandre Dumas et Mitterrand avait choisi Jean Monnet, à savoir le métissage si l’on veut, pour l’un - Dumas était le petit-fils d’une quarteronne antillaise -, l’Europe pour l’autre. C’était politiquement correct à l’outrance, nous n’en attendions rien, et nous fûmes servis. A cette image, Hollande a voulu jouer dans la cour des grands, il n’a fait que montrer sa petitesse.

                                                                                                                                                                                J. D.

3 décembre, 2013

Cette baisse en trompe-l’oeil

Classé dans : Politique,sujets de societe — llanterne @ 15:48

Il est clair que personne ne fanfaronne, en particulier au gouvernement, avec l’annonce des derniers chiffres du chômage, même s’ils marquent un léger recul. Ainsi, il y a eu, en octobre, 20 500 chômeurs de moins, soit – 0,6 %. Ce qui n’est pas grand-chose, c’est le moins que l’on puisse dire, nous avons toujours 3 270 000 chômeurs inscrits à Pôle-emploi, sans compter les inactifs. Même si cela nous change, bien évidemment des dramatiques augmentations mensuelles habituelles, cette toute petite baisse du baromètre n’est guère stimulante. A savoir, une éclaircie qui n’empêche pas la destruction d’emplois et le recul de la consommation dans notre pays.

Dans un premier temps, ce qu’il convient d’analyser - pour être juste -, c’est que le chômage est stable, c’est ce que l’on doit retenir suite à l’annonce des dernières statistiques officielles publiées, il y a trois-quatre jours. Mais d’où cela vient, là est la question ? Et est-ce que cela est durable, ou supposé l’être ? C’est là que le bas blesse. On voit qu’il y a beaucoup de radiations, même s’il peut y en avoir pour de bonne raisons – ou du moins légitimes -, mais aussi le rôle essentiel des emplois aidés, qui sont pour l’essentiel des emplois publics. Il ne faut pas nécessairement dédaigner ces emplois aidés, qui peuvent appuyer des jeunes gens peu qualifiés, en difficulté d’insertion sociale et éloignés du marché de l’emploi. Mais néanmoins, l’emploi privé ne contribue pas véritablement à la diminution du chômage. La prudence du gouvernement sur la durée est donc de bon aloi. Tant que l’on n’aura pas une croissance d’1,5 % au minimum, nous n’aurons pas de baisse significative du chômage. Et nous en sommes loin. Le chômage est stabilisé à un niveau élevé, semble-t-il, dans l’hexagone.

Vu sous un autre angle, il est vrai que le nombre de chômeurs a diminué, mais il y a plus de chômeurs au mois d’octobre 2013, qu’au mois d’octobre 2012 (+ 6 %), ce qui est non négligeable. Enfin, le nombre de chômeurs de plus d’un an est aussi en explosion, représentant 42 % du nombre de chômeurs, ce qui est inquiétant, la probabilité de retrouver un emploi, au bout d’un an, étant beaucoup plus faible. La probabilité de retrouver un emploi est de 30 % en France, après un an de chômage, contre de 80 à 90 % en Scandinavie. On a l’impression que l’on décrit la France des années 1970, en citant ces derniers chiffres. Il n’y a ainsi pas de fluidité suffisante du marché du travail, pour éviter aux chômeurs longue durée d’être stigmatisés. Le suivi laisse également à désirer, même si des tentatives ont été réalisées, dans la seconde moitié des années 1990. La crise pointe son nez partout. Depuis un mois, les salariés du groupe « La Redoute » manifestent leur mécontentement, et leur inquiétude, face au développement de la vente sur internet. L’histoire du groupe « La Redoute » a débuté, il y a plus de 75 ans, dans les filatures de Roubaix. Depuis un mois, les salariés inquiets pour leur avenir, multiplient les manifestations. La vente de ce groupe de prêt-à-porter est un dossier, parmi tant d’autres, hautement symbolique et politique.

François Hollande ne se réjouit-il pas trop vite, alors que des centaines d’entreprises, voire des milliers, dans toute la France, sont menacées de dépôt de bilan. Ainsi, pour en revenir aux statistiques du chômage, cette petite baisse en trompe-l’oeil, ne concerne que les chômeurs de catégorie A (chômage total). Les chômeurs de catégories B et C (activité réduite) ont, eux, continué à augmenter, 39 600 de plus, soit + 0,8 %. Et puis, surtout, comme nous l’avons prouvé, il ne faut pas oublier que le gouvernement triche d’une manière éhontée. D’abord, en faisant radier à tour de bras certains chômeurs des listes officielles, comme nous l’avons vu, quoi qu’il en soit (11 000 radiations administratives de plus). Ensuite, en transformant, par un tour de passe-passe incroyable, des chômeurs de catégorie A en chômeurs de catégories B ou C, sous prétexte qu’ils suivent un vague stage de formation (plus ou moins bidon).

C’est ce qui est arrivé à 60 000 d’entre eux, en octobre. Et bien-sûr, en multipliant à l’infini, les embauches à coups d’emplois d’avenir ou de génération et d’emplois « aidés », quoi que l’on puisse en dire, mais payer par les entreprises et le contribuable. Ainsi, nous avons encore 11,1 % de chômeurs, au bas mot, alors que l’Allemagne n’en a plus que 5,2 % (même si les radiations existent là-bas aussi, mais à population active plus importante, le chômage reste nettement plus bas), les Etats-Unis 7,2 %, la Suisse, 3,2 %, ou l’Autriche, 4,9 %. Certes, la natalité de l’Allemagne ou de l’Autriche est faiblarde, mais les analyses restent intéressantes. Et l’on peut toujours évoquer l’Espagne, 26,6 %, ou la Grèce, 27,3 %, mais c’est une bien maigre consolation, sachant que nous sommes bien à plus de 15 % de chômeurs et d’inactifs, dans la réalité des faits. En jouant sur les chiffres, Hollande joue aussi sur les mots. En fait, ce qui compte n’est pas le nombre de chômeurs mais bien le nombre d’emplois marchands qui sont créés. Cette année, la France a encore perdu plus de 110 000 emplois. Quelque soit les entourloupes auxquelles se livrent les socialistes, les réalités sont têtues.

Sur ce point, la croissance ne repartira, qu’à certaines conditions. Et non pas en attendant, le nez au vent et les bras croisés, pour paraphraser Thierry Desjardins, que l’économie mondiale redémarre et que nous puissions en récolter quelques miettes. Cela veut dire permettre aux entreprises de se développer aussi, en investissant et en innovant pour créer de la richesse et conquérir des marchés intérieurs comme extérieurs, tout en relançant la consommation, en permettant aux citoyens de consommer. Or, il est vrai, toute la politique socio-économique menée par Hollande afin de maquiller les chiffres avec ses emplois aidés l’oblige à augmenter toujours plus les prélèvements et à oppresser davantage encore les entreprises et les consommateurs. C’est toute l’absurdité de cette politique. Cela se fait nécessairement au détriment de l’économie marchande. L’argent qui est placé dans l’assistanat et les emplois aidés, ne l’est pas ailleurs, dans l’allégement des charges des entreprises, etc. Nous fonctionnons dans un système en vase clos, selon le principes des vases communicant. Il convient surtout de dynamiser le secteur privé par la formation notamment. La majorité des licenciés économiques en France, le sont par absence d’investissements, en matière de formation, d’adaptabilité. Il faudrait que les salariés du groupe « La Redoute » soient suffisamment formés pour aller travailler, par exemple, auprès de ces nombreuses petites entreprises diversifiées dans la vente en ligne, par correspondance (suivant l’exemple scandinave). C’est le problème français, en grande partie.

Nous ne ferons baisser le chômage significativement, que lorsque nous serons capables de former les salariés, face aux soubresauts du marché, et avec la réactivité s’imposant en matière d’évolution professionnelle. Ainsi, pour faire baisser artificiellement le nombre de chômeurs, Hollande massacre à la tronçonneuse toutes les possibilités de créer des emplois. Les Français commencent à s’apercevoir que ce n’est pas la courbe du chômage, qu’il convient d’observer, mais bien celle des créations d’emplois, pensant naïvement que si la première baissait un jour, ce serait parce que la seconde augmenterait. Et ils comprennent sans doute, qu’Hollande va, peut-être, parvenir à l’exploit de faire baisser les deux en même temps. Moins de chômeurs, moins d’emplois. Le chômage baisse, mais l’emploi recule… C’est évidemment suicidaire, car avant longtemps, faute de la moindre croissance qu’il paralyse lui-même, Hollande ne pourra plus s’offrir d’emplois aidés. Le nombre de chômeurs baisse virtuellement, mais paradoxalement, le nombre des fermetures d’entreprises se multiplie. Mais cela dit, comment s’en étonner ? Ainsi, une politique socialiste ne peut que conduire à une économie du même type. Et comme dans une vaste faillite, l’Etat-providence devient l’Etat-catastrophe.

                                                                                                                                                                                         J. D.

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