Carnet littéraire estival – coups de coeur
« Le Vampire du Milieu ; Comment la Chine nous dicte sa loi ? » ; Pierre Cohen et Luc Richard ; Mille et une nuits
« Le Vampire du Milieu; Comment la Chine nous dicte sa loi ? », paru aux éditions « Mille et une nuits » est le dernier ouvrage de Pierre Cohen, écrit en collaboration avec Luc Richard. En 2005, ils ont déjà publié « La Chine sera-t-elle notre cauchemar », en pleine euphorie « sino-béate ». Leur thèse y est simple, l’insertion de la Chine dans la mondialisation ne se fait au profit ni des classes populaires chinoises, surtout celles des campagnes, ni de celles des pays développés. Il est à y ajouter, que le marché n’est pas forcément engendreur de démocratisation. « La Chine a pris un essor phénoménal en quelques années, assumant sans complexe une expansion internationale qui en fait un prédateur irrésistible. Aux mains du PCC, le pays de Confucius ne se contente plus d’être l’atelier du monde, ni même son laboratoire. La Chine aspire à elle toutes les richesses, non seulement le travail, les entreprises, le potentiel technologique » et innovateur, mais aussi les ressources énergétiques, les matières premières et même les terres agricoles.
Les armes de la Chine, ce ne sont pas d’abord des fusées et des missiles, mais avant tout une main-d’œuvre sous-payée, une monnaie dévaluée, le doux commerce des produits à bas coût et bas de gamme ; des centaines d’instituts Confucius, des médias sous influence (y compris en Occident, par une forme de compromission) ; et une diaspora de dizaines de millions de Chinois d’origine, très encadrée, défendant ses intérêts. La Chine s’alimente en capitaux et de plus en plus, en savoir-faire, ce que les Français notamment, souvent insouciants, tardent à percevoir : nous nous sommes endormis, quand la Chine s’est réveillée, comme l’avait justement annoncé Alain Peyrefitte, qui n’était pas le plus imbécile des gaullistes. Cette faiblesse envers ce Vampire, se comprend, car il sait enjôler, derrière la diffusion du mandarin, du tai-chi ou de la médecine chinoise, toute cette culture orientale, qui a tant d’attrait pour nous. A nous de saisir aussi, quels sont les objectifs poursuivis à travers. Economie, énergies, transfert technologique, intelligence économique, diaspora, soft power, où s’arrêtera la Chine ?
Dans ce dernier ouvrage, pour la première fois, le grand puzzle de l’ambition chinoise est reconstituée. Exemples et chiffres à l’appui, Philippe Cohen et Luc Richard racontent comment le régime chinois, petit à petit, nous dicte sa loi…
« Le dernier mort de Mitterrand » ; Raphaëlle Bacqué ; Grasset & Albin Michel
La journaliste d’investigation Raphaëlle Bacqué, grand reporter au quotidien « Le Monde », après « Chirac ou le Démon du pouvoir » (2002, Albin Michel) ; « La Femme fatale » avec Ariane Chemin, sur Ségolène Royal (2007, Albin Michel) ; « L’Enfer de Matignon » (2008, Albin Michel), dans son dernier ouvrage « Le Dernier Mort de Mitterrand » (2010, Grasset et Albin Michel), nous éclaircit sur le mystère planant autour de la disparition de François Grossrouvre.
Cette éminence grise, cet aristocrate maurrassien, ancien financier des campagnes socialistes en 1981, remisé dans un placard à la fin de sa carrière et retrouvé suicidé dans son bureau de l’Elysée, en avril 1994, à deux pas de François Mitterrand… Nous sommes ainsi invités à un passionnant retour en arrière, sur la vie de cet homme, fidèle compagnon de route de Mitterrand, industriel tissant des réseaux en Afrique, ancien membre des services spéciaux ; mais homme amer et déçu, « Belphégor » errant dans les couloirs de l’Elysée, explorant les dérives toujours fascinantes de la Mitterrandie crépusculaire…
« Si nous nous taisons » ; René Guitton, paru le 05/2001 ; Prix Montyon de l’Académie Française 2002
Prix Montyon de philosophie et littérature de l’Académie française, Prix Lyautey de l’Académie des sciences d’outre-mer, et Prix Liberté pour son ouvrage « Si nous nous taisons » (Calmann-Lévy 2001 & Pocket 2009), membre du réseau mondial d’experts de l’Alliance des Civilisations des Nations unies, René Guitton œuvre depuis de nombreuses années pour un dialogue philosophique, culturel et religieux entre l’Orient et l’Occident.
Dans cet ouvrage, paru en 2001, republié récemment dans une édition revue et augmentée, René Guitton revient sur un sujet, traité par le dernier film de Xavier Beauvois, « Des Hommes et des Dieux », indéniablement, le phénomène culturel et cinématographique de cette rentrée, portant sur le destin tragique des sept moines de Tibhirine, tués en mai 1996, dans une Algérie à feu et à sang. Qui sont les coupables de l’assassinat : les islamistes ou l’armée algérienne, au bout du compte ? Peu d’analystes nous expliquent par ailleurs, les raisons de cette présence chrétienne et française en terre d’Islam, son antériorité même à la conquête, il y a plus de mille ans par l’Islam du Maghreb. Au XIXe siècle, sur les pas de St Augustin, toutes ces confréries religieuses furent à la pointe de cette présence coloniale au Maghreb, convertissant, mais aussi protégeant, éduquant, soignant. Après le départ de l’armée française, certains sont restés.
René Guitton a passé son enfance et son adolescence en Afrique du Nord. Tout jeune, il est imprégné des religions et a vécu avec émotion la présence de l’Eglise en terre d’Islam. Après le drame, il a éprouvé le besoin justement, d’aller à la recherche minutieuse de la vérité. Aidé par les témoignages des familles des victimes, des moines de la communauté trappiste, des plus hautes autorités religieuses, d’hommes politiques de toutes sensibilités, de responsables politiques français de premier plan, d’agents des services secrets (lui ayant ouvert l’accès à nombre de documents confidentiels) et de témoins anonymes, il dénoue ainsi peu à peu, les fils de cet imbroglio tragique. Rien n’a été laissé dans l’ombre, jusqu’aux racines de cette implantation trappiste à Tibhirine, au cours de ces investigations qui ont conduit l’auteur de France en Algérie et au Maroc.
« L’Etat schizo, Pompier et pyromane » ; Martine Lombard ; JC Lattès
Bien instructif est ce voyage dans « La France des services publics », une spécificité bien française. D’Air France – KLM à EDF, certaines de nos entreprises anciennement ou encore partiellement nationalisées, apparaissent comme des fleurons de notre économie, de nos jours ; mais encore pour longtemps ? Là est la question…
« La réussite d’Air France-KLM nous entretient dans un rêve éveillé. En apparence, tout va bien pour nos fleurons nationaux. Air France privatisée porte haut les couleurs de la République avec, sur l’empennage de ses avions, les fameuses rayures bleu, blanc, rouge et les étoiles d’or européennes en surimpression (KLM a gardé sa couronne). L’Etat (…) en oublie qu’il l’avait, lui-même conduit à une quasi-faillite. Il a pourtant été ce pilote schizophrène qui a plongé l’avion vers le sol avant de le redresser in extremis et à très grand frais pour les contribuables. Ainsi l’Etat ne veut pas voir les autres risques (…) qui menacent ce qu’il reste des services publics. »
De La Poste à EDF – Gaz de France, en passant par les ex-PTT (France Télécom), la RATP et la SNCF, au travers de cet essai, Martine Lombard, haut fonctionnaire de formation et spécialiste des services publics français, nous décrypte sur les quinze dernières années, les spécificités inhérentes au service public français, avec en toile de fond, un Etat « mauvais pilote », à la fois pompier et pyromane, face à l’évolution de la libre concurrence, l’Europe des juges, les aléas des privatisations… C’est ici, l’illustration et le décryptage d’un immense gâchis, fait d’un Etat mauvais gestionnaire et à la politique ambiguë et non définie, depuis trop longtemps, au grand dam souvent des salariés et actionnaires des groupes concernés, mais aussi parfois des usagers… « Alors que la survie de ces derniers dépend à nouveau, de façon urgente, de sa capacité à parler et à agir vrai, ses silences, sous l’écume d’une vaine agitation, sont toujours plus assassins. »
« Le temps des chimères 2003-2009 » ; Hubert Védrine ; Fayard
« Le temps des chimères… », c’est le dernier ouvrage d’Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères et spécialiste hors pair, en matière de relations internationales. Il nous présente et analyse la situation géopolitique mondiale sous forme de cahiers, regroupés dans cet ouvrage, décryptant l’actualité de 2003 à aujourd’hui. Hubert Védrine nous livre ainsi ses observations et interprétations, sur l’évolution et le basculement des équilibres mondiaux, l’émergence de la Chine, de l’Inde. C’est ainsi tout un redécoupage planétaire, qui se profile, inédit depuis l’après seconde guerre mondiale et dans lequel la France et l’Europe, doivent pouvoir trouver leur place.
« Où en sommes-nous en 2009-10 ? Non pas à l’avènement d’un « monde multipolaire » plus juste, plus harmonieux et forcément stable, mais au début d’une longue redistribution des cartes qui prendra la forme d’une bagarre ou, en tout cas, d’une compétition multipolaire à rebondissements multiples et à l’issue incertaine. Et, conjoncturellement, à un carrefour d’incertitudes sur les modalités, les formes et le rythme de la sortie de « crise », à supposer que nous n’ayons vécu qu’une simple « crise » et non une mutation d’une ampleur et d’une durée imprévisibles. C’est la simultanéité et l’interrelation de ces mutations qui font la singularité du temps présent.
Hubert Védrine »
« L’Entrevue de Saint-Cloud » ; Harold Cobert ; Editions Héloïse d’Ormesson
Né à Bordeaux en 1974, Harold Cobert a consacré une thèse (Mirabeau, polygraphe : du pornographe à l’orateur politique) et un essai à Mirabeau. Il est l’auteur de deux romans, dont « Un hiver avec Baudelaire » (2009), qui a rencontré un vif succès. Il écrit également pour le théâtre, le cinéma et la télévision.
Dans cet ouvrage, l’auteur opère une incursion historique au coeur de l’Ancien Régime crépusculaire et de la tourmente révolutionnaire. Il relate ainsi une rencontre d’importance, souvent négligée et qui aurait pu renverser l’inexorable cours de l’histoire, à savoir l’audience secrète accordée par Marie – Antoinette à Mirabeau, dans les jardins du château de Saint – Cloud, à la tombée de la nuit. Le 3 juillet 1790, alors que la monarchie est en péril et l’avenir de la France incertain, une seule volonté anime l’orateur du peuple, élu du tiers état, celle de sauver le trône. Durant ces quelques heures à la dérobée, déployant son éloquence, le redoutable tribun qu’est Mirabeau, tentera de rallier la reine à ses convictions. Ce roman en costumes (par ailleurs, fort bien documenté et écrit) témoigne également de la fragilité des destinées collectives.